Notice historique sur la chapelle de Notre-Dame-de-Grâce de Honfleur
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Notice historique sur la chapelle de Notre-Dame-de-Grâce de Honfleur
AVANT PROPOS
En 1833 M. l’abbé Vastel, Chapelain de Notre-Dame-de-Grâce publia une notice sur ce lieu de pèlerinage. Le pieux et savant ecclésiastique réunit tous les documents que purent lui fournir les traditions locales, les archives de la province et le registre manuscrit des R. R. PP. Capucins qui avaient desservi la Chapelle de Notre-Dame-de-Grâce pendant cent soixante-neuf ans, de 1620 à 1789. Il y joignit et y entremêla le récit des guérisons et des sauvetages miraculeux dont les ex-voto de la Chapelle conservent le souvenir, et de nombreuses dissertations sur le culte des saints, les indulgences, les miracles et les pélerinages en général. - M. l’abbé Vastel vivait au milieu d’une génération profondément ignorante des choses de la foi. Le voltairianisme de 1830 poursuivait de ses ricanements séniles les rares fidèles qui essayaient de relever les ruines des églises : il applaudissait au sac de l’Archevêché de Paris, arrachait ou renversait les croix, et il eut volontiers contesté aux chrétiens le droit d’invoquer la Sainte-Vierge, s’il eut pu les détourner des voies de la prière et tarir ainsi la source des miracles. - Controversiste zélé, M. l’abbé Vastel voulut que son opuscule fournit des armes aux chrétiens intimidés, et l’âme attristée du digne prêtre ne put faire passer dans son écrit ces sentiments d’invincible espérance qui remplissent le coeur du pèlerin lorsqu’arrivé aux pieds de Notre-Dame-de-Grâce il domine les agitations du monde et des flots et contemple l’ineffable sourire de la Mère de Dieu. - Soldat perdu et troublé par les commotions contemporaines, le chapelain de Grâce fut, il est vrai, le gardien fidèle des traditions, mais il n’entrevit pas et ne put prévoir le prochain triomphe de la cause qu’il servait. Il n’eut pas le temps de reconnaître que le sanctuaire à demi délaissé qui l’abritait était fondé sur le roc inébranlable de la foi catholique, qu’il portait sur les assises des traditions nationales et populaires, et que bientôt, en présence du monde étonné des audacieuses négations du naturalisme, la croyance au surnaturel allait sortir comme Jonas, des profondeurs de l’océan, et monter vers l’Étoile de la mer, son épave à la main, jetant à la face des savants et des apostats l’écume impuissante et l’amertume des flots.
On a donc pensé qu’il n’était pas opportun de réimprimer telle quelle la notice de M. l’abbé Vastel, et qu’il suffisait d’en recueillir la partie historique, tout en élaguant certains détails peu dignes d’être conservés. Une esquisse de l’histoire de Honfleur les a remplacés, et offrira nécessairement plus d’intérêt au lecteur que des relations de procès et des inventaires de mobilier. Quant aux récits des grâces obtenues par les marins et les pélerins et notés dans les Annales de la Chapelle, ils ont été respectueusement transcrits, mais placés dans un appendice, afin que le nouvel opuscule pût à la fois contenter la pieuse curiosité des fidèles, et ne pas effrayer par ses dimensions les touristes et les lecteurs pressés.
Il nous semble d’ailleurs que la dévotion des serviteurs de Marie n’en est plus à se défendre : elle s’affirme et se manifeste hautement, et bien loin d’accéder aux conseils d’une foi tiède et prudente, au lieu de se cacher et de se taire, elle va comme l’aveugle de Jéricho, «criant encore plus fort» et publiant partout les louanges et la gloire de Dieu. L’Archiconfrérie du Très-Saint et Immaculée Coeur de Marie a pénétré partout où s’élève la Croix. La promulgation du Dogme de l’Immaculée Conception a retenti par toute la terre, mais les peuples avaient déjà repris le chemin des pélerinages, et nos jeunes soldats, en quittant leurs foyers, emportaient la médaille de Notre-Dame-des-Victoires. Aussi la parole du Souverain Pontife a réjoui la terre et tous les échos de la chrétienté ont répondu par un tressaillement joyeux à sa voix douce et paternelle. - Les coeurs brisés, les âmes éprouvées par les souffrances, se sont tournés du côté du Ciel pour obtenir ce que le génie et la science humaine ne pouvaient leur donner.
Celui qui écrit ces lignes n’a fait que suivre cette mystérieuse impulsion. Après qu’il eut été touché et guéri par la main du Seigneur, un ami bien cher, un fils de Saint-François d’Assise, témoin actif de la grâce reçue, lui indiqua de loin le sanctuaire et le beau pays où il était venu lui-même l’année précédente rétablir ses forces au contact d’un air pur, et sur une plage saintement abritée. Son conseil fut suivi : le convalescent aima ces lieux bénis, ces souvenirs franciscains, cette paix et cette immensité dont son ami lui avait décrit l’ineffable beauté. Il revint l’année suivante, il espère revenir encore, mais cette fois il veut apporter dans ses mains raffermies l’humble témoignage de sa reconnaissance.
Obscur pèlerin, il ne peut offrir à la Reine des Anges, ni or, ni chefs-d’oeuvre. Il lui présente ces pages comme un bouquet de fleurs agrestes cueillies dans son domaine. Puissent-elles, avant de se flétrir, répandre un doux parfum autour du sanctuaire, s’effeuiller sur la voie qui y conduit, et, lorsque le vent d’automne les aura dispersées, Dieu veuille que de leur poussière renaissent d’autres fleurs, plus brillantes et plus durables, et qu’elles s’épanouissent aux pieds de Notre-Dame-de-Grâce, immortels témoignages des bienfaits accordés, et de la reconnaissance qui leur survit !
En 1833 M. l’abbé Vastel, Chapelain de Notre-Dame-de-Grâce publia une notice sur ce lieu de pèlerinage. Le pieux et savant ecclésiastique réunit tous les documents que purent lui fournir les traditions locales, les archives de la province et le registre manuscrit des R. R. PP. Capucins qui avaient desservi la Chapelle de Notre-Dame-de-Grâce pendant cent soixante-neuf ans, de 1620 à 1789. Il y joignit et y entremêla le récit des guérisons et des sauvetages miraculeux dont les ex-voto de la Chapelle conservent le souvenir, et de nombreuses dissertations sur le culte des saints, les indulgences, les miracles et les pélerinages en général. - M. l’abbé Vastel vivait au milieu d’une génération profondément ignorante des choses de la foi. Le voltairianisme de 1830 poursuivait de ses ricanements séniles les rares fidèles qui essayaient de relever les ruines des églises : il applaudissait au sac de l’Archevêché de Paris, arrachait ou renversait les croix, et il eut volontiers contesté aux chrétiens le droit d’invoquer la Sainte-Vierge, s’il eut pu les détourner des voies de la prière et tarir ainsi la source des miracles. - Controversiste zélé, M. l’abbé Vastel voulut que son opuscule fournit des armes aux chrétiens intimidés, et l’âme attristée du digne prêtre ne put faire passer dans son écrit ces sentiments d’invincible espérance qui remplissent le coeur du pèlerin lorsqu’arrivé aux pieds de Notre-Dame-de-Grâce il domine les agitations du monde et des flots et contemple l’ineffable sourire de la Mère de Dieu. - Soldat perdu et troublé par les commotions contemporaines, le chapelain de Grâce fut, il est vrai, le gardien fidèle des traditions, mais il n’entrevit pas et ne put prévoir le prochain triomphe de la cause qu’il servait. Il n’eut pas le temps de reconnaître que le sanctuaire à demi délaissé qui l’abritait était fondé sur le roc inébranlable de la foi catholique, qu’il portait sur les assises des traditions nationales et populaires, et que bientôt, en présence du monde étonné des audacieuses négations du naturalisme, la croyance au surnaturel allait sortir comme Jonas, des profondeurs de l’océan, et monter vers l’Étoile de la mer, son épave à la main, jetant à la face des savants et des apostats l’écume impuissante et l’amertume des flots.
On a donc pensé qu’il n’était pas opportun de réimprimer telle quelle la notice de M. l’abbé Vastel, et qu’il suffisait d’en recueillir la partie historique, tout en élaguant certains détails peu dignes d’être conservés. Une esquisse de l’histoire de Honfleur les a remplacés, et offrira nécessairement plus d’intérêt au lecteur que des relations de procès et des inventaires de mobilier. Quant aux récits des grâces obtenues par les marins et les pélerins et notés dans les Annales de la Chapelle, ils ont été respectueusement transcrits, mais placés dans un appendice, afin que le nouvel opuscule pût à la fois contenter la pieuse curiosité des fidèles, et ne pas effrayer par ses dimensions les touristes et les lecteurs pressés.
Il nous semble d’ailleurs que la dévotion des serviteurs de Marie n’en est plus à se défendre : elle s’affirme et se manifeste hautement, et bien loin d’accéder aux conseils d’une foi tiède et prudente, au lieu de se cacher et de se taire, elle va comme l’aveugle de Jéricho, «criant encore plus fort» et publiant partout les louanges et la gloire de Dieu. L’Archiconfrérie du Très-Saint et Immaculée Coeur de Marie a pénétré partout où s’élève la Croix. La promulgation du Dogme de l’Immaculée Conception a retenti par toute la terre, mais les peuples avaient déjà repris le chemin des pélerinages, et nos jeunes soldats, en quittant leurs foyers, emportaient la médaille de Notre-Dame-des-Victoires. Aussi la parole du Souverain Pontife a réjoui la terre et tous les échos de la chrétienté ont répondu par un tressaillement joyeux à sa voix douce et paternelle. - Les coeurs brisés, les âmes éprouvées par les souffrances, se sont tournés du côté du Ciel pour obtenir ce que le génie et la science humaine ne pouvaient leur donner.
Celui qui écrit ces lignes n’a fait que suivre cette mystérieuse impulsion. Après qu’il eut été touché et guéri par la main du Seigneur, un ami bien cher, un fils de Saint-François d’Assise, témoin actif de la grâce reçue, lui indiqua de loin le sanctuaire et le beau pays où il était venu lui-même l’année précédente rétablir ses forces au contact d’un air pur, et sur une plage saintement abritée. Son conseil fut suivi : le convalescent aima ces lieux bénis, ces souvenirs franciscains, cette paix et cette immensité dont son ami lui avait décrit l’ineffable beauté. Il revint l’année suivante, il espère revenir encore, mais cette fois il veut apporter dans ses mains raffermies l’humble témoignage de sa reconnaissance.
Obscur pèlerin, il ne peut offrir à la Reine des Anges, ni or, ni chefs-d’oeuvre. Il lui présente ces pages comme un bouquet de fleurs agrestes cueillies dans son domaine. Puissent-elles, avant de se flétrir, répandre un doux parfum autour du sanctuaire, s’effeuiller sur la voie qui y conduit, et, lorsque le vent d’automne les aura dispersées, Dieu veuille que de leur poussière renaissent d’autres fleurs, plus brillantes et plus durables, et qu’elles s’épanouissent aux pieds de Notre-Dame-de-Grâce, immortels témoignages des bienfaits accordés, et de la reconnaissance qui leur survit !
Déchet- Serviteur
-
Nombre de messages : 756
Age : 56
Localisation : Dans une poubel appeler planet terre
Humeur : Dangereuse
tendances politiques : Révolutionaire
Date d'inscription : 05/03/2008
Niveau de Courtoisie:
Gérer par le Tribunal:
(14/14)
Argent de poche:
(1/100)
CHAPITRE Ier
Lorsque placé sur la jetée du Havre le voyageur contemple les magnifiques perspectives qui s’étendent devant lui, il est un point de la rive opposée ou ses regards s’arrêtent et reviennent toujours. A l’angle occidental de la baie formée par l’embouchure de la Seine, s’élève un promontoire boisé. Au pied de cette falaise verdoyante brillent au soleil les toits et les clochers d’une petite ville. C’est Honfleur, c’est la Côte de Grâce, c’est le port autrefois si animé de la ville forte, premier boulevard de la Normandie. Ces noms réveillent des souvenirs historiques. On sait que Notre-Dame-de-Grâce est un lieu de pélerinage, un site pittoresque et renommé. Aussi n’est-il pas de touriste, chrétien ou non, qui consente à quitter le Havre sans aller visiter Honfleur. - La traversée est courte, et les flots agités qui combattent le courant du fleuve et lui disputent l’entrée de l’Océan, après avoir secoué le navire à sa sortie du port, se calment tout à coup, et semblent favoriser sa course rapide.
Bientôt le rivage approche. La vieille cité semble sortir de la mer, et se dessine aux yeux ravis des passagers, sur le fond d’une sombre verdure. Le phare, l’hospice aux antiques murailles baignées par les flots, le vaste orphelinat, les vieilles églises, la mâture des navires, les maisons revêtues d’ardoises, les vaisseaux en construction, la jetée couverte de femmes et d’enfants attendant le retour des barques, tout cela apparaît au pied de la colline. Au sommet, à droite, s’élève un grand crucifix qui semble bénir la mer, mais la Chapelle de Notre-Dame-de-Grâce reste invisible, cachée sous les arbres séculaires qui l’entourent.
A peine a-t-on mis le pied sur le quai de Honfleur, qu’un petit édifice du XVIe siècle, la Lieutenance, attire les regards par sa structure originale, ses tourelles en encorbellement et la statue de la Sainte-Vierge placée au-dessus de la porte et revêtue aux jours de fête d’une robe de dentelle. Cette petite forteresse située entre le vieux port et les nouveaux bassins, semble en commander l’entrée. Heureusement elle ne gêne pas le mouvement des navires et n’aura pas le sort de la tour de François Ier, seul vestige ancien qui ornât la ville du Havre, et qui maintenant a disparu. Bâtie sur les fortifications de la porte de Caen, la Lieutenance en s’appuyant sur ces vieilles murailles conserve leurs derniers débris. Louis XIV avait ordonné la démolition de l’enceinte fortifiée de Honfleur, et les pierres de ses tours et de ses remparts ont servi à construire les différents bassins que nous voyons aujourd’hui.
Le port de Honfleur n’a plus son activité d’autrefois, la vase l’envahit et les vaisseaux d’un fort tonnage n’y peuvent plus entrer. Mais il est encore l’entrepôt de la Normandie et c’est là que les troupeaux et les fruits de ses fertiles campagnes arrivent et s’entassent dans les flancs des navires qui les emportent au Havre ou en Angleterre. A Honfleur aussi, débarquent constamment les vaisseaux de Norwège, et les bois qu’ils apportent sont mis en oeuvre dans de vastes chantiers.
Les églises de Honfleur ne sont pas belles : Sainte-Catherine surtout, construite en bois et toute vermoulue, ressemble à la carène d’un vieux vaisseau échoué. Saint-Léonard paraît tout près de tomber en ruines et porte encore la trace des balles calvinistes : mais ces vieilles églises ne sont jamais désertes. Aux jours de fête elles sont trop étroites, et leurs dalles usées témoignent de la ferveur des bons Honfleurais.
A part un bâtiment vulgaire situé entre l’ancien et le nouveau port, espèce de coffre à portes et fenêtres sur lequel est inscrit le mot Mairie, le voyageur le moins expérimenté reconnaît aussitôt, par le contraste même de ce spécimen du style municipal moderne, avec le caractère général de la ville de Honfleur, qu’il a mis le pied sur un vieux territoire dont les traditions et les souvenirs historiques sont à peine voilés sous le manteau de ses ruines et les replis de ses falaises. - Honfleur est situé tout auprès de l’emplacement qu’occupait au temps de la conquête Romaine, la ville de Portus-Iccius, appelé aussi Portus-Niger, et où Jules César s’embarqua pour la Grande-Bretagne. Portus-Iccius fut ruiné par les Saxons et le terrain même sur lequel s’élevait l’ancienne cité Gallo-Romaine, au pied de la Côte de Grâce, sous Vasouy, a disparu, emporté par la mer. Cependant les vestiges de quatre voies romaines, de nombreuses antiquités découvertes aux environs de Honfleur et les traces d’un camp romain, encore visibles sur la Côte de Grâce, confirment sur ce point la tradition populaire et les écrits des savants.
Au commencement du Vie siècle, Honfleur (Honna-Flew, sous le flot), existait déjà. C’était une colonie saxonne qui l’avait fondé. Il fut fortifié en 800 par l’ordre de Charlemagne, afin de pouvoir résister aux invasions normandes si fréquentes à cette époque.
En 912, cette peuplade remuante et guerrière fut régulièrement établie dans la contrée même qu’elle avait tant de fois ravagée. Un de ses chefs les plus redoutables, Rollon, ayant été battu par les armes de Robert, Duc de France, consentit à traiter avec le Roi, Charles-le-Simple. La pensée politique qui inspira le traité de Saint-Clair-sur-Epte fut d’arrêter les déprédations des Normands par les Normands eux-mêmes ; en leur octroyant la possession de la Neustrie. Elle fut cédée à Rollon comme Duché, avec les droits de vasselage que la couronne de France pouvait prétendre sur la Bretagne. Devenu chrétien, le nouveau Duc épousa la fille du Roi de France, et fit bientôt de la Normandie un état modèle et florissant. Il la distribua en comtés, dont il donna l’investiture aux chefs qui l’avaient suivi, fortifia les villes, protégea le commerce et l’agriculture et établit des lois sévères qui réprimèrent le brigandage. On dit que Rollon fit suspendre ses bracelets d’or pendant trois ans dans la forêt de Maromme près de Rouen et que personne n’osa y toucher (1). Les terres situées entre l’embouchure de la Risle et celle de la Seine, n’avaient pas été cédées à Rollon, mais il parvint à se les faire octroyer et le canton de Honfleur fut joint à son duché. Les premiers Seigneurs de Honfleur dont le nom ait été conservé par l’histoire, furent donc le Duc Rollon, son fils Guillaume-Longue-Epée, de 927 à 942. Richard Ier de 942 à 996, Richard II de 996 à 1026, Richard III de 1026 à 1028, Robert-le-Magnifique, fondateur de la Chapelle de Notre-Dame-de-Grâce, qui régna de 1028 à 1035, et enfin son fils, Guillaume-le-Conquérant, qui joignit à sa couronne ducale la souveraineté de l’Angleterre.
Lorsque Guillaume-le-Conquérant mourut à Rouen, en 1087, ses courtisans s’enfuirent, abandonnant le corps du Duc aux outrages des valets, qui après l’avoir dépouillé le laissèrent nu sur le plancher. Un seul chevalier resta fidèle au Duc défunt : c’était son beau-père, Herlewin de Conteville, à qui il avait donné la Seigneurie de Honfleur. Il accourut au palais désert et dévasté, et après avoir à ses frais rendu les derniers honneurs à la dépouille mortelle de son suzerain, il s’embarqua sur la Seine et conduisit le cercueil royal à Honfleur d’abord, et de là à Caen.
Les Ducs de Normandie devenus Rois d’Angleterre, n’en restèrent pas moins vassaux du Roi de France. En 1203, après que le Roi d’Angleterre, Jean, eut assassiné à Rouen son neveu Arthur, héritier de la Normandie, les Pairs du Royaume prononcèrent la confiscation de cette province. Philippe-Auguste se mit aussitôt en campagne et tandis qu’il reprenait une à une les places fortes de la Normandie, le lâche Jean-sans-Terre habitait tour à tour les châteaux qui environnent Honfleur, et s’occupait à peupler de daims amenés à grands frais du nord de l’Ecosse, les forêts du beau duché qu’il allait bientôt quitter pour toujours.
En 1204, Philippe-Auguste se présenta devant Honfleur, et la ville lui ouvrit ses portes avec joie. Il la donna pour apanage à Bertrand de Roncheville, chevalier tout dévoué à la cause Française.
Sous la domination paisible des Barons de Roncheville, Honfleur prit de l’accroissement et devint une cité commerçante et active, célèbre par la hardiesse et l’intelligence de ses marins.
Cette prospérité fut anéantie en 1357. La France était alors en guerre avec l’Angleterre, un parti d’Anglais s’empara de Honfleur, pilla la ville et s’y maintint trois années. « Et moult fut le pays troublé de la prinse de Honnefleu, pour l’empêchement de la rivière de Seine, qui gouverne le royaume en sa plus noble et puissante partie ».
Les Anglais fortifiés dans Honfleur et se recrutant sans cesse, commirent tant de brigandages que leur nom seul était en horreur dans toute la contrée. Les malheureux Normands disaient dans leurs prières : «Seigneur, délivrez-nous des Anglais.» N’ayant pu réussir à les chasser, on prit le parti d’acheter leur départ : un subside fut levé à cet effet dans les baillages de Rouen et du pays de Caux, et les Anglais bien pourvus d’argent, quittèrent enfin Honfleur, chargés des malédictions de toute la province.
Bientôt le rivage approche. La vieille cité semble sortir de la mer, et se dessine aux yeux ravis des passagers, sur le fond d’une sombre verdure. Le phare, l’hospice aux antiques murailles baignées par les flots, le vaste orphelinat, les vieilles églises, la mâture des navires, les maisons revêtues d’ardoises, les vaisseaux en construction, la jetée couverte de femmes et d’enfants attendant le retour des barques, tout cela apparaît au pied de la colline. Au sommet, à droite, s’élève un grand crucifix qui semble bénir la mer, mais la Chapelle de Notre-Dame-de-Grâce reste invisible, cachée sous les arbres séculaires qui l’entourent.
A peine a-t-on mis le pied sur le quai de Honfleur, qu’un petit édifice du XVIe siècle, la Lieutenance, attire les regards par sa structure originale, ses tourelles en encorbellement et la statue de la Sainte-Vierge placée au-dessus de la porte et revêtue aux jours de fête d’une robe de dentelle. Cette petite forteresse située entre le vieux port et les nouveaux bassins, semble en commander l’entrée. Heureusement elle ne gêne pas le mouvement des navires et n’aura pas le sort de la tour de François Ier, seul vestige ancien qui ornât la ville du Havre, et qui maintenant a disparu. Bâtie sur les fortifications de la porte de Caen, la Lieutenance en s’appuyant sur ces vieilles murailles conserve leurs derniers débris. Louis XIV avait ordonné la démolition de l’enceinte fortifiée de Honfleur, et les pierres de ses tours et de ses remparts ont servi à construire les différents bassins que nous voyons aujourd’hui.
Le port de Honfleur n’a plus son activité d’autrefois, la vase l’envahit et les vaisseaux d’un fort tonnage n’y peuvent plus entrer. Mais il est encore l’entrepôt de la Normandie et c’est là que les troupeaux et les fruits de ses fertiles campagnes arrivent et s’entassent dans les flancs des navires qui les emportent au Havre ou en Angleterre. A Honfleur aussi, débarquent constamment les vaisseaux de Norwège, et les bois qu’ils apportent sont mis en oeuvre dans de vastes chantiers.
Les églises de Honfleur ne sont pas belles : Sainte-Catherine surtout, construite en bois et toute vermoulue, ressemble à la carène d’un vieux vaisseau échoué. Saint-Léonard paraît tout près de tomber en ruines et porte encore la trace des balles calvinistes : mais ces vieilles églises ne sont jamais désertes. Aux jours de fête elles sont trop étroites, et leurs dalles usées témoignent de la ferveur des bons Honfleurais.
A part un bâtiment vulgaire situé entre l’ancien et le nouveau port, espèce de coffre à portes et fenêtres sur lequel est inscrit le mot Mairie, le voyageur le moins expérimenté reconnaît aussitôt, par le contraste même de ce spécimen du style municipal moderne, avec le caractère général de la ville de Honfleur, qu’il a mis le pied sur un vieux territoire dont les traditions et les souvenirs historiques sont à peine voilés sous le manteau de ses ruines et les replis de ses falaises. - Honfleur est situé tout auprès de l’emplacement qu’occupait au temps de la conquête Romaine, la ville de Portus-Iccius, appelé aussi Portus-Niger, et où Jules César s’embarqua pour la Grande-Bretagne. Portus-Iccius fut ruiné par les Saxons et le terrain même sur lequel s’élevait l’ancienne cité Gallo-Romaine, au pied de la Côte de Grâce, sous Vasouy, a disparu, emporté par la mer. Cependant les vestiges de quatre voies romaines, de nombreuses antiquités découvertes aux environs de Honfleur et les traces d’un camp romain, encore visibles sur la Côte de Grâce, confirment sur ce point la tradition populaire et les écrits des savants.
Au commencement du Vie siècle, Honfleur (Honna-Flew, sous le flot), existait déjà. C’était une colonie saxonne qui l’avait fondé. Il fut fortifié en 800 par l’ordre de Charlemagne, afin de pouvoir résister aux invasions normandes si fréquentes à cette époque.
En 912, cette peuplade remuante et guerrière fut régulièrement établie dans la contrée même qu’elle avait tant de fois ravagée. Un de ses chefs les plus redoutables, Rollon, ayant été battu par les armes de Robert, Duc de France, consentit à traiter avec le Roi, Charles-le-Simple. La pensée politique qui inspira le traité de Saint-Clair-sur-Epte fut d’arrêter les déprédations des Normands par les Normands eux-mêmes ; en leur octroyant la possession de la Neustrie. Elle fut cédée à Rollon comme Duché, avec les droits de vasselage que la couronne de France pouvait prétendre sur la Bretagne. Devenu chrétien, le nouveau Duc épousa la fille du Roi de France, et fit bientôt de la Normandie un état modèle et florissant. Il la distribua en comtés, dont il donna l’investiture aux chefs qui l’avaient suivi, fortifia les villes, protégea le commerce et l’agriculture et établit des lois sévères qui réprimèrent le brigandage. On dit que Rollon fit suspendre ses bracelets d’or pendant trois ans dans la forêt de Maromme près de Rouen et que personne n’osa y toucher (1). Les terres situées entre l’embouchure de la Risle et celle de la Seine, n’avaient pas été cédées à Rollon, mais il parvint à se les faire octroyer et le canton de Honfleur fut joint à son duché. Les premiers Seigneurs de Honfleur dont le nom ait été conservé par l’histoire, furent donc le Duc Rollon, son fils Guillaume-Longue-Epée, de 927 à 942. Richard Ier de 942 à 996, Richard II de 996 à 1026, Richard III de 1026 à 1028, Robert-le-Magnifique, fondateur de la Chapelle de Notre-Dame-de-Grâce, qui régna de 1028 à 1035, et enfin son fils, Guillaume-le-Conquérant, qui joignit à sa couronne ducale la souveraineté de l’Angleterre.
Lorsque Guillaume-le-Conquérant mourut à Rouen, en 1087, ses courtisans s’enfuirent, abandonnant le corps du Duc aux outrages des valets, qui après l’avoir dépouillé le laissèrent nu sur le plancher. Un seul chevalier resta fidèle au Duc défunt : c’était son beau-père, Herlewin de Conteville, à qui il avait donné la Seigneurie de Honfleur. Il accourut au palais désert et dévasté, et après avoir à ses frais rendu les derniers honneurs à la dépouille mortelle de son suzerain, il s’embarqua sur la Seine et conduisit le cercueil royal à Honfleur d’abord, et de là à Caen.
Les Ducs de Normandie devenus Rois d’Angleterre, n’en restèrent pas moins vassaux du Roi de France. En 1203, après que le Roi d’Angleterre, Jean, eut assassiné à Rouen son neveu Arthur, héritier de la Normandie, les Pairs du Royaume prononcèrent la confiscation de cette province. Philippe-Auguste se mit aussitôt en campagne et tandis qu’il reprenait une à une les places fortes de la Normandie, le lâche Jean-sans-Terre habitait tour à tour les châteaux qui environnent Honfleur, et s’occupait à peupler de daims amenés à grands frais du nord de l’Ecosse, les forêts du beau duché qu’il allait bientôt quitter pour toujours.
En 1204, Philippe-Auguste se présenta devant Honfleur, et la ville lui ouvrit ses portes avec joie. Il la donna pour apanage à Bertrand de Roncheville, chevalier tout dévoué à la cause Française.
Sous la domination paisible des Barons de Roncheville, Honfleur prit de l’accroissement et devint une cité commerçante et active, célèbre par la hardiesse et l’intelligence de ses marins.
Cette prospérité fut anéantie en 1357. La France était alors en guerre avec l’Angleterre, un parti d’Anglais s’empara de Honfleur, pilla la ville et s’y maintint trois années. « Et moult fut le pays troublé de la prinse de Honnefleu, pour l’empêchement de la rivière de Seine, qui gouverne le royaume en sa plus noble et puissante partie ».
Les Anglais fortifiés dans Honfleur et se recrutant sans cesse, commirent tant de brigandages que leur nom seul était en horreur dans toute la contrée. Les malheureux Normands disaient dans leurs prières : «Seigneur, délivrez-nous des Anglais.» N’ayant pu réussir à les chasser, on prit le parti d’acheter leur départ : un subside fut levé à cet effet dans les baillages de Rouen et du pays de Caux, et les Anglais bien pourvus d’argent, quittèrent enfin Honfleur, chargés des malédictions de toute la province.
Déchet- Serviteur
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Age : 56
Localisation : Dans une poubel appeler planet terre
Humeur : Dangereuse
tendances politiques : Révolutionaire
Date d'inscription : 05/03/2008
Niveau de Courtoisie:
Gérer par le Tribunal:
(14/14)
Argent de poche:
(1/100)
suite
Sous Charles V, la ville se releva de ses ruines. Ce roi plus prévoyant que ses prédécesseurs, ordonna la construction de nouveaux remparts et nomma gouverneur de Honfleur, un descendant de Charlemagne, l’illustre Amiral Jean de Vienne. Une époque de gloire et de prospérité commença alors pour la ville. De nombreux navires furent rassemblés dans son port, et Jean de Vienne dont le système consistait à prendre l’offensive et à attaquer les Anglais chez eux, dirigea plusieurs expéditions qui allèrent ravager les plus belles provinces de l’ennemi et devint aussi redoutable aux Anglais, que ceux-ci l’avaient été aux Normands. L’illustre gouverneur de Honfleur couronna sa noble carrière par la mort d’un croisé. Il fut tué à Nicopolis en 1396, et le lendemain de la défaite des Français, le Sultan Bajazet parcourant le champ de bataille, trouva le corps de l’amiral étendu sur un monceau de cadavres musulmans, et serrant encore dans ses vaillantes mains l’étendard de Notre-Dame.
En 1417, Honfleur assiégé par le Comte de Salisbury, tomba de nouveau au pouvoir des Anglais, et l’année suivante les ambassadeurs Français et Anglais s’y réunirent pour traiter des conditions de la paix, mais sans rien conclure. La Normandie se soumit à Henri V ; quelques nobles refusèrent de lui prêter serment de fidélité et s’exilèrent. Parmi eux fut Perrette de Roncheville, dame de Honfleur. Le Roi d’Angleterre confisqua ses biens, et dans la distribution qu’il fit à ses favoris des fiefs enlevés aux seigneurs restés fidèles à la France, il se réserva Honfleur.
De nombreuses révoltes eurent lieu contre les Anglais. Trois ans après le jour où ils crurent avoir étouffé dans les flammes du bûcher de Jeanne d’Arc, la résistance et la haine des Français, le maréchal de Rieux et sa petite troupe de cent quatre braves, leur reprirent Harfleur - Dieppe et Fécamp leur échappèrent de même. Honfleur subit plus longtemps la domination Anglaise. Henri VI avait pris cette ville en affection. Il y habita presque constamment en 1443, 1444 et 1445. La douceur du climat de Honfleur, le voisinage de la giboyeuse forêt de Touques, et par-dessus tout le séjour du Roi, attirèrent à Honfleur les plus puissants Barons de l’Angleterre. De beaux hôtels furent construits, les églises Saint-Léonard et Sainte-Catherine s’élevèrent, mais l’or des Anglais ne put faire oublier aux loyaux Honfleurais leur nationalité, et lorsque Charles VII entreprit de reconquérir la Normandie, ils l’envoyèrent supplier de venir assiéger leur ville. Le Comte de Dunois en prit possession au nom du Roi de France le 17 janvier 1450, et, peu après, la reddition de Caen amena l’entière et définitive réunion de la Normandie au Royaume de France.
La propriété de Honfleur fut alors rendue au Sire de La Roche-Guyon, fils de cette dame Perrette de Roncheville, qui avait refusé de se soumettre au roi d’Angleterre. Charles VII confia le gouvernement de la ville à un brave chevalier Robert de Floque, les fortifications furent séparées, et le nouveau gouverneur fit une descente en Angleterre et revint à Honfleur, ramenant plusieurs navires conquis sur les Anglais.
La fin du XVe siècle et le commencement du XVIe siècle furent glorieux pour les marins de Honfleur. Ils se signalèrent par de lointaines expéditions. Deux de leurs capitaines, Binot-Paulmier et Jean Denis, découvrirent l’un, les côtes méridionales du Brésil, l’autre l’île de Terre-Neuve, qui devint pour le commerce de Honfleur une source de richesses. Les Honfleurais étaient alors cités comme les premiers marins de France et ils comptaient aussi parmi ses plus vaillants soldats, mais déjà la vase envahissait leur port, et François Ier élevait sous leurs yeux une cité rivale, le Hâvre-de-Grâce et préparait ainsi pour Honfleur l’ère de la décadence.
Les guerres de religion ensanglantèrent la ville. Pris et repris par les protestants et les catholiques, Honfleur fut pillé et brûlé en partie. Les habitants du faubourg Saint-Léonard, catholiques fervents, soutinrent un siège dans leur église, et résistèrent avec un courage admirable. L’incendie put seul leur faire abandonner l’église. Les calvinistes la profanèrent et finirent par la faire sauter. L’explosion détruisit trois cents maisons et fit périr plusieurs habitants. Le chef protestant Saint-Nicol, auteur de cette action infâme, s’enfuit et resta impuni.
Les guerres de la Ligue vinrent ensuite, et l’histoire de Honfleur n’offre pendant ce temps que le triste récit de sièges, de pillages et d’exactions de toute sorte. La ville tenait pour la Ligue. Henri IV vint l’assiéger en personne. Elle était défendue par Georges de Crillon, frère de l’ami du Béarnais. Celui-ci écrivait à son brave Crillon « J’ai trouvé vostre frère en cette place de Honnefleu, résolu, dit-il, de s’opiniastrer contre l’exemple que vous lui avés donné de meilleur conseil ; dont je suis bien marry, pour avoir cogneu tant de valeur et d’affection en vous, qu’il me veuille faire dommaige ny entendre quoique ce soit, à mon très grand regret. Mais puisque j’en suis si avant, j’espère que Dieu me donnera aussi bonne issue de cette mienne entreprise, qu’il a fait des autres, et que l’opiniastreté de vostre frère n’apportera aucune mutation ne changement à vostre affection accoutumée à mon service, ny en la bonne volonté que j’ai toujours eue, et que je veux continuer en vostre endroit quand l’occasion se présentera de vous la faire cognoistre par effet, priant sur ce Nostre Seigneur, vous avoir Monsieur de Crillon, en sa sainte garde. (2) »
Henry.
L’opiniastreté de Georges de Crillon ne put tenir devant celle de Henri IV, et il se rendit après un siège de huit jours, pendant lequel le roi avait cent fois exposé sa vie. - Mais la ville ne resta pas longtemps au pouvoir de Henri. Crillon la reprit, s’y fortifia, ayant avec lui le curé de Trouville, qui de prêtre s’était fait homme de guerre, et comme il s’était emparé aussi du fort de Tancarville, il commandait sur les deux rives de la Seine. Ses soldats arrêtaient les navires, pillaient les campagnes et enlevaient partout des prisonniers qu’ils ne relâchaient que moyennant rançon. En vain l’abjuration de Henri IV avait ôté tout prétexte à la résistance, celle de Crillon se prolongea jusqu’en 1594. Une armée de dix mille hommes commandés par le duc de Montpensier et le maréchal de Fervacques, vint alors assiéger Honfleur. Crillon se défendit énergiquement. Plus de sept mille coups de canon furent tirés sur la ville. Enfin, pour la seconde et dernière fois, Crillon capitula, et remit les clefs de la ville aux chefs royalistes.
Il fallut plusieurs années pour effacer tant de désastres. En 1603, les fortifications étant réparées, Henri IV visite Honfleur. Il y fut reçu avec de grands honneurs, et cette affection qu’il savait si bien inspirer à ses nouveaux sujets.
Pendant le XVIIe siècle, les essais de colonisation au Canada, les armements pour Terre-Neuve, et la construction de nombreux vaisseaux de guerre entretinrent l’activité du port de Honfleur.
Jusqu’alors la ville avait conservé son aspect féodal : ses tours et ses remparts la protégeaient encore, mais fidèle à la politique de Richelieu et de Mazarin, Louis XIV les fit abattre. Duquesne vint à Honfleur et constata la nécessité d’y creuser de nouveaux bassins ; mais on ne donna pas suite à ces projets dont l’exécution eut été cependant pour la cité démantelée une légitime compensation. La chûte de cette tour carrée, bâtie par l’ordre de Charlemagne, et sur laquelle avaient flotté les étendards victorieux de Philippe-Auguste, de Charles VII et de Henri IV, fut en quelque sorte le présage funeste d’un amoindrissement progressif. La ville découronnée cessa d’être le boulevard de la Normandie : les calamités qui l’assaillirent pendant la guerre de 1755 à 1763 achevèrent sa ruine, et le Havre se fortifia de plus en plus et devint à son tour pour la France et l’ennemi, le point redoutable de l’attaque et de la défense.
Mais bien que la cité de Honfleur ne soit plus à l’avant-garde, elle est encore une pépinière de braves marins destinés à perpétuer ses glorieuses traditions. Actifs, robustes, pleins de confiance en Notre-Dame-de-Grâce, ils gardent l’empreinte des siècles passés comme les rochers de leurs falaises ont gardé la trace des boulets anglais. Le commerce et la paix n’ont pu effacer la rivalité des deux peuples, et les boulets rouillés qu’on retrouve encore ça et là sur les grèves de la Normandie, flotteront plutôt sur les eaux que ses fiers enfants n’oublieront la martyre de Rouen et le prisonnier de Sainte-Hélène.
Aujourd’hui le sanctuaire de Grâce est l’unique forteresse qui protège la vieille cité. Paisible et hospitalière, elle ne menace plus, elle attire vers ses doux rivages de nombreux voyageurs qui subissent le charme de cette atmosphère pieuse et sereine, et des pélerins plus nombreux encore, qui apportent aux pieds de la divine Suzeraine l’hommage et le tribut des cités rivales et des contrées lointaines.
En 1417, Honfleur assiégé par le Comte de Salisbury, tomba de nouveau au pouvoir des Anglais, et l’année suivante les ambassadeurs Français et Anglais s’y réunirent pour traiter des conditions de la paix, mais sans rien conclure. La Normandie se soumit à Henri V ; quelques nobles refusèrent de lui prêter serment de fidélité et s’exilèrent. Parmi eux fut Perrette de Roncheville, dame de Honfleur. Le Roi d’Angleterre confisqua ses biens, et dans la distribution qu’il fit à ses favoris des fiefs enlevés aux seigneurs restés fidèles à la France, il se réserva Honfleur.
De nombreuses révoltes eurent lieu contre les Anglais. Trois ans après le jour où ils crurent avoir étouffé dans les flammes du bûcher de Jeanne d’Arc, la résistance et la haine des Français, le maréchal de Rieux et sa petite troupe de cent quatre braves, leur reprirent Harfleur - Dieppe et Fécamp leur échappèrent de même. Honfleur subit plus longtemps la domination Anglaise. Henri VI avait pris cette ville en affection. Il y habita presque constamment en 1443, 1444 et 1445. La douceur du climat de Honfleur, le voisinage de la giboyeuse forêt de Touques, et par-dessus tout le séjour du Roi, attirèrent à Honfleur les plus puissants Barons de l’Angleterre. De beaux hôtels furent construits, les églises Saint-Léonard et Sainte-Catherine s’élevèrent, mais l’or des Anglais ne put faire oublier aux loyaux Honfleurais leur nationalité, et lorsque Charles VII entreprit de reconquérir la Normandie, ils l’envoyèrent supplier de venir assiéger leur ville. Le Comte de Dunois en prit possession au nom du Roi de France le 17 janvier 1450, et, peu après, la reddition de Caen amena l’entière et définitive réunion de la Normandie au Royaume de France.
La propriété de Honfleur fut alors rendue au Sire de La Roche-Guyon, fils de cette dame Perrette de Roncheville, qui avait refusé de se soumettre au roi d’Angleterre. Charles VII confia le gouvernement de la ville à un brave chevalier Robert de Floque, les fortifications furent séparées, et le nouveau gouverneur fit une descente en Angleterre et revint à Honfleur, ramenant plusieurs navires conquis sur les Anglais.
La fin du XVe siècle et le commencement du XVIe siècle furent glorieux pour les marins de Honfleur. Ils se signalèrent par de lointaines expéditions. Deux de leurs capitaines, Binot-Paulmier et Jean Denis, découvrirent l’un, les côtes méridionales du Brésil, l’autre l’île de Terre-Neuve, qui devint pour le commerce de Honfleur une source de richesses. Les Honfleurais étaient alors cités comme les premiers marins de France et ils comptaient aussi parmi ses plus vaillants soldats, mais déjà la vase envahissait leur port, et François Ier élevait sous leurs yeux une cité rivale, le Hâvre-de-Grâce et préparait ainsi pour Honfleur l’ère de la décadence.
Les guerres de religion ensanglantèrent la ville. Pris et repris par les protestants et les catholiques, Honfleur fut pillé et brûlé en partie. Les habitants du faubourg Saint-Léonard, catholiques fervents, soutinrent un siège dans leur église, et résistèrent avec un courage admirable. L’incendie put seul leur faire abandonner l’église. Les calvinistes la profanèrent et finirent par la faire sauter. L’explosion détruisit trois cents maisons et fit périr plusieurs habitants. Le chef protestant Saint-Nicol, auteur de cette action infâme, s’enfuit et resta impuni.
Les guerres de la Ligue vinrent ensuite, et l’histoire de Honfleur n’offre pendant ce temps que le triste récit de sièges, de pillages et d’exactions de toute sorte. La ville tenait pour la Ligue. Henri IV vint l’assiéger en personne. Elle était défendue par Georges de Crillon, frère de l’ami du Béarnais. Celui-ci écrivait à son brave Crillon « J’ai trouvé vostre frère en cette place de Honnefleu, résolu, dit-il, de s’opiniastrer contre l’exemple que vous lui avés donné de meilleur conseil ; dont je suis bien marry, pour avoir cogneu tant de valeur et d’affection en vous, qu’il me veuille faire dommaige ny entendre quoique ce soit, à mon très grand regret. Mais puisque j’en suis si avant, j’espère que Dieu me donnera aussi bonne issue de cette mienne entreprise, qu’il a fait des autres, et que l’opiniastreté de vostre frère n’apportera aucune mutation ne changement à vostre affection accoutumée à mon service, ny en la bonne volonté que j’ai toujours eue, et que je veux continuer en vostre endroit quand l’occasion se présentera de vous la faire cognoistre par effet, priant sur ce Nostre Seigneur, vous avoir Monsieur de Crillon, en sa sainte garde. (2) »
Henry.
L’opiniastreté de Georges de Crillon ne put tenir devant celle de Henri IV, et il se rendit après un siège de huit jours, pendant lequel le roi avait cent fois exposé sa vie. - Mais la ville ne resta pas longtemps au pouvoir de Henri. Crillon la reprit, s’y fortifia, ayant avec lui le curé de Trouville, qui de prêtre s’était fait homme de guerre, et comme il s’était emparé aussi du fort de Tancarville, il commandait sur les deux rives de la Seine. Ses soldats arrêtaient les navires, pillaient les campagnes et enlevaient partout des prisonniers qu’ils ne relâchaient que moyennant rançon. En vain l’abjuration de Henri IV avait ôté tout prétexte à la résistance, celle de Crillon se prolongea jusqu’en 1594. Une armée de dix mille hommes commandés par le duc de Montpensier et le maréchal de Fervacques, vint alors assiéger Honfleur. Crillon se défendit énergiquement. Plus de sept mille coups de canon furent tirés sur la ville. Enfin, pour la seconde et dernière fois, Crillon capitula, et remit les clefs de la ville aux chefs royalistes.
Il fallut plusieurs années pour effacer tant de désastres. En 1603, les fortifications étant réparées, Henri IV visite Honfleur. Il y fut reçu avec de grands honneurs, et cette affection qu’il savait si bien inspirer à ses nouveaux sujets.
Pendant le XVIIe siècle, les essais de colonisation au Canada, les armements pour Terre-Neuve, et la construction de nombreux vaisseaux de guerre entretinrent l’activité du port de Honfleur.
Jusqu’alors la ville avait conservé son aspect féodal : ses tours et ses remparts la protégeaient encore, mais fidèle à la politique de Richelieu et de Mazarin, Louis XIV les fit abattre. Duquesne vint à Honfleur et constata la nécessité d’y creuser de nouveaux bassins ; mais on ne donna pas suite à ces projets dont l’exécution eut été cependant pour la cité démantelée une légitime compensation. La chûte de cette tour carrée, bâtie par l’ordre de Charlemagne, et sur laquelle avaient flotté les étendards victorieux de Philippe-Auguste, de Charles VII et de Henri IV, fut en quelque sorte le présage funeste d’un amoindrissement progressif. La ville découronnée cessa d’être le boulevard de la Normandie : les calamités qui l’assaillirent pendant la guerre de 1755 à 1763 achevèrent sa ruine, et le Havre se fortifia de plus en plus et devint à son tour pour la France et l’ennemi, le point redoutable de l’attaque et de la défense.
Mais bien que la cité de Honfleur ne soit plus à l’avant-garde, elle est encore une pépinière de braves marins destinés à perpétuer ses glorieuses traditions. Actifs, robustes, pleins de confiance en Notre-Dame-de-Grâce, ils gardent l’empreinte des siècles passés comme les rochers de leurs falaises ont gardé la trace des boulets anglais. Le commerce et la paix n’ont pu effacer la rivalité des deux peuples, et les boulets rouillés qu’on retrouve encore ça et là sur les grèves de la Normandie, flotteront plutôt sur les eaux que ses fiers enfants n’oublieront la martyre de Rouen et le prisonnier de Sainte-Hélène.
Aujourd’hui le sanctuaire de Grâce est l’unique forteresse qui protège la vieille cité. Paisible et hospitalière, elle ne menace plus, elle attire vers ses doux rivages de nombreux voyageurs qui subissent le charme de cette atmosphère pieuse et sereine, et des pélerins plus nombreux encore, qui apportent aux pieds de la divine Suzeraine l’hommage et le tribut des cités rivales et des contrées lointaines.
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CHAPITRE II LA CHAPELLE
Après avoir parcouru quelques rues tortueuses, bordées de petites maisons ornées de fleurs, et entremêlées de jardins, on arrive à la belle allée qui, depuis 1832, sert d’avenue au plateau où s’élève la chapelle. Des arbres touffus, des charmilles aux racines noueuses en soutiennent les bords, et les pélerins cheminent doucement sur cette pente ombragée. Souvent des marins sauvés du naufrage, des femmes inquiètes, montent cette côte pieds nus, les uns en chantant le Magnificat, les autres en priant pour de chers absents. Leurs regards ne s’arrêtent guères sur le splendide paysage, mais s’il importe peu à ces coeurs illuminés des vives clartés de la foi, que la baie soit immense et ses rives enchantées, le voyageur incroyant a senti souvent son coeur s’émouvoir et son âme s’élever devant ce spectacle magnifique. A mesure qu’il monte, l’horizon grandit, et les navires qui sillonnent la baie n’apparaissent plus que comme des points noirs dans l’azur agité des flots. L’antique Lillebonne, Orcher, la vieille abbaye de Saint-Georges-de-Boscherville, Harfleur et son clocher, svelte aiguille de pierre où la cloche sonne cent quatre coups tous les matins en souvenir des cent quatre braves qui reprirent la ville aux Anglais, le Havre et sa forêt de mâts, les phares du cap de la Hève et la petite chapelle de Notre-Dame-des-Flots, se dessinent le long des côteaux de la rive droite. Du pied du grand crucifix placé en haut de l’avenue, la perspective s’étend encore à gauche : c’est la pleine mer, le ciel, l’infini. Arrivés là, les pélerins s’agenouillent et prient, avant d’entrer à la chapelle ; et souvent les femmes des marins absents interrompant leur prière, interrogent du regard l’immensité des flots, et cherchent à reconnaître dans le lointain la voile des barques attardées.
A quelques pas du calvaire, la falaise escarpée, haute de cent mètres, descend brusquement dans la mer. En vain s’attache à ses flancs ravinés un manteau de verdure, en vain les chênes et les robustes charmilles se cramponnent à ses roches moussues, chaque hiver les vents et les flots emportent un débris de ces pentes mouvantes où sont ensevelies les ruines de l’ancien sanctuaire de Notre-Dame-de-Grâce.
Située à peu de distance de la croix, la chapelle actuelle est petite. Les arbres de haute futaie et les belles pelouses qui l’entourent contrastent avec ses humbles dimensions. Ce porche rustique, ce clocher lézardé ne présentent aux yeux que des lignes sans beauté. C’est Bethléhem, c’est la crèche, et les enfants de Saint-François qui desservirent cette chapelle au siècle dernier semblent lui avoir imprimé ce cachet d’austère pauvreté si cher au séraphin d’Assise.
A l’intérieur, tout est pauvre et décent. La voûte basse et les fenêtres obscurcies par l’épais feuillage des arbres environnants, laissent régner à toute heure un demi jour mystérieux et voilé. - Du côté de l’Evangile, à l’angle formé par l’entrée du choeur et le transept nord, la statue de la Sainte Vierge est placée sur un pilastre tronqué. Un dais, dont l’étoffe taillée en baldaquin redescend de chaque côté, l’encadre comme une sorte de niche. Elle est revêtue d’un grand manteau de soie dont la partie antérieure s’entrouvre pour dégager l’Enfant Jésus, porté par sa sainte mère, et paré comme elle d’une couronne d’or.
Aux pieds de Notre-Dame sont placées de petites ancres ; des coeurs d’argent de vermeil brillent sur le dais, et l’on voit, suspendus à la grille qui protège le soubassement, une quantité de petits bouquets de fleurs, humbles hommages des pauvres et des enfants. Les béquilles des infirmes guéris sont aussi là comme les trophées victorieux de la prière, dont les cierges allumés et sans cesse renouvelés auprès de la sainte image, attestent la persévérante ardeur. - Au-dessus de la porte de la sacristie on voit le tableau commémoratif du pèlerinage que firent à Notre-Dame-de-Grâce sept cents paroissiens de Saint-Laurent de Paris, sous la conduite de leur éloquent et zélé pasteur, M. l’abbé Duquesnay. L’éclat de la dorure et des broderies s’accorde avec la date récente du 8 septembre 1863. C’est un témoignage collectif et édifiant de la piété des serviteurs de Marie, un gage fraternel offert par la grande cité aux pieux marins de Honfleur, qui ont su fixer sur un rocher du Calvados le nom et les faveurs de Notre-Dame-de-Grâce.
La sainte tradition des sauvetages miraculeux est inscrite sur toutes les murailles de la chapelle, qui est tapissée d’ex-voto dont plusieurs ont plus de deux cents ans de date. Rien n’est plus expressif que ces pauvres petits tableaux représentant les navires battus par la tempête, ou brisés sur les écueils, et au bas desquels on lit le récit abrégé des périls courus et du salut envoyé. C’est le laconisme du journal du bord et l’éloquence énergique du navigateur chrétien dont l’oeil a mesuré le danger, et constaté la puissance surhumaine du pilote qui l’a conjuré. - Le nom du capitaine, celui du navire, sont apposés au bas du tableau avec la date du fait et de l’offrande. Plusieurs de ces ex-voto remontent au commencement du règne de Louis XIV. En parcourant l’échelle des âges on retrouve, sans se lasser d’admirer, la même conformité de sentiment dans la variété infinie des accidents maritimes.
A voir ainsi toutes ces épaves de l’Océan rangées avec ordre dans ce port de salut, on est porté à croire qu’elles ont dû y conserver toujours le calme et la sécurité d’un asile inviolable. Cependant il n’en est rien. Un jour Dieu a permis que le souffle de l’enfer souleva dans les âmes perverties une de ces tempêtes qui mettent en péril tous les témoignages éclatants de la foi, alors même qu’ils ont reçu la triple consécration du malheur, de l’héroïsme et de la mort. Le flot sacrilége de 93 est monté jusqu’au faîte de la côte de Grâce ; il s’est rué sur les ex-voto aussi bien que sur les reliquaires et le trésor des cathédrales et les tombes de Saint-Denis. Il a tout dispersé, mais plus favorisés que les richesses de l’Église et les cendres royales, les pauvres petits navires des naufragés de Honfleur, conduits par les voies mystérieuses d’un second sauvetage, sont venus reprendre leur mouillage paisible dans le vieux sanctuaire. Ils sont là comme auparavant, rangés sur les murs ou suspendus à la voûte, et affirmant par ce retour inespéré l’authenticité et la permanence de l’intervention miraculeuse dont ils rendent deux fois témoignage.
L’origine du pèlerinage de Notre-Dame-de-Grâce remonte au XIe siècle. La tradition rapporte que vers l’an 1034 Robert-le-Magnifique, duc de Normandie, faisant voile vers l’Angleterre, fut assailli d’une violente tempête, et qu’au plus fort du danger il promit de fonder trois chapelles et de les consacrer à la Sainte Vierge s’il revenait sain et sauf dans ses États. La tempête cessa, et le prince, aussitôt de retour, s’occupa d’accomplir son voeu. Il fit bâtir l’une des chapelles promises à Harfleur, près de son château, et la dédia à Notre-Dame-de-Pitié, une autre, près de Caen, qu’il appela Notre-Dame-de-la-Délivrande, et la troisième, construite sur le plateau qui domine Honfleur, reçut le nom de Notre-Dame-de-Grâce.
Cette chapelle fut d’abord desservie par des chapelains désignés par les fondateurs. Elle ne tarda pas à devenir un lieu de pèlerinage très-fréquenté, mais le premier document authentique qui soit resté sur son histoire est fourni par des lettres patentes du roi Louis XI, qui, le 28 janvier 1478, fit don de la chapelle de Notre-Dame-de-Grâce à la collégiale de Notre-Dame-de-Cléry. Ces lettres témoignent que la chapelle était dotée d’une certaine étendue de terrain, contenant une maison d’habitation, une grange, etc., etc.
Un violent tremblement de terre, arrivé le 29 septembre 1538, fit écrouler la chapelle et engloutit la partie de la falaise sur laquelle s’étendaient ses dépendances. Seuls un pan de muraille, un autel et une statue de la Sainte Vierge restèrent debout, et telle était la dévotion du peuple à ce lieu privilégié que de nombreux pélerins continuèrent à venir prier auprès de ces débris ; mais les éboulements ne cessant pas, on finit, en 1602, par enlever les derniers vestiges du sanctuaire afin d’empêcher les fidèles d’exposer leur vie.
Les Honfleurais regrettaient leur chapelle, et l’un d’eux, M. Gonnyer, entreprit d’en élever une nouvelle. Il en fit creuser les fondations à cent pas environ de l’ancienne, vers le sud-ouest, mais il en resta là, faute d’argent et de protections. Le terrain sur lequel il avait commencé à bâtir appartenait à Mademoiselle de Montpensier, comtesse de Roncheville et dame de Honfleur, et il fallait obtenir son autorisation. M. Gonnyer s’adressa alors au marquis de Fontenay, intendant des biens de la princesse, et celui-ci obtint d’elle le don d’un acre de terrain, et la permission de choisir huit chênes dans la forêt de Touques pour construire la charpente du nouvel édifice. Les offrandes des habitants de Honfleur firent le reste, et en moins d’une année, en 1613, la chapelle s’éleva ; mais elle se ressentait de la pauvreté qui régnait alors en France ; ce n’était qu’un petit bâtiment trois fois aussi long que large, couvert en chaume, isolé au milieu des bruyères, et ressemblant plutôt à une grange qu’à un oratoire. - Cependant les chanoines de Cléry revendiquèrent leurs anciens droits sur la chapelle de Grâce, mais ils ne furent pas écoutés, et un arrêt du Parlement de Normandie, après avoir constaté que le nouveau sanctuaire n’était pas construit sur le terrain donné à la collégiale de Notre-Dame-de-Cléry par Louis XI, les débouta de leurs prétentions.
Ce fut alors que les RR. PP. Capucins vinrent s’établir à Honfleur, sur l’invitation du gouverneur de la ville, Étienne de la Roque. M. de Fontenay obtint de Mademoiselle de Montpensier, que ces religieux seraient mis en possession de la chapelle et des terrains avoisinants. Les Capucins furent donc installés à Notre-Dame-de-Grâce le 16 mars 1621, par M. L’abbé Durand le Saulnier, délégué à cet effet par Mgr l’évêque de Lisieux, et en signe de prise de possession, ils plantèrent une grande croix de bois sur le lieu même où avaient été les ruines de l’ancienne chapelle.
A quelques pas du calvaire, la falaise escarpée, haute de cent mètres, descend brusquement dans la mer. En vain s’attache à ses flancs ravinés un manteau de verdure, en vain les chênes et les robustes charmilles se cramponnent à ses roches moussues, chaque hiver les vents et les flots emportent un débris de ces pentes mouvantes où sont ensevelies les ruines de l’ancien sanctuaire de Notre-Dame-de-Grâce.
Située à peu de distance de la croix, la chapelle actuelle est petite. Les arbres de haute futaie et les belles pelouses qui l’entourent contrastent avec ses humbles dimensions. Ce porche rustique, ce clocher lézardé ne présentent aux yeux que des lignes sans beauté. C’est Bethléhem, c’est la crèche, et les enfants de Saint-François qui desservirent cette chapelle au siècle dernier semblent lui avoir imprimé ce cachet d’austère pauvreté si cher au séraphin d’Assise.
A l’intérieur, tout est pauvre et décent. La voûte basse et les fenêtres obscurcies par l’épais feuillage des arbres environnants, laissent régner à toute heure un demi jour mystérieux et voilé. - Du côté de l’Evangile, à l’angle formé par l’entrée du choeur et le transept nord, la statue de la Sainte Vierge est placée sur un pilastre tronqué. Un dais, dont l’étoffe taillée en baldaquin redescend de chaque côté, l’encadre comme une sorte de niche. Elle est revêtue d’un grand manteau de soie dont la partie antérieure s’entrouvre pour dégager l’Enfant Jésus, porté par sa sainte mère, et paré comme elle d’une couronne d’or.
Aux pieds de Notre-Dame sont placées de petites ancres ; des coeurs d’argent de vermeil brillent sur le dais, et l’on voit, suspendus à la grille qui protège le soubassement, une quantité de petits bouquets de fleurs, humbles hommages des pauvres et des enfants. Les béquilles des infirmes guéris sont aussi là comme les trophées victorieux de la prière, dont les cierges allumés et sans cesse renouvelés auprès de la sainte image, attestent la persévérante ardeur. - Au-dessus de la porte de la sacristie on voit le tableau commémoratif du pèlerinage que firent à Notre-Dame-de-Grâce sept cents paroissiens de Saint-Laurent de Paris, sous la conduite de leur éloquent et zélé pasteur, M. l’abbé Duquesnay. L’éclat de la dorure et des broderies s’accorde avec la date récente du 8 septembre 1863. C’est un témoignage collectif et édifiant de la piété des serviteurs de Marie, un gage fraternel offert par la grande cité aux pieux marins de Honfleur, qui ont su fixer sur un rocher du Calvados le nom et les faveurs de Notre-Dame-de-Grâce.
La sainte tradition des sauvetages miraculeux est inscrite sur toutes les murailles de la chapelle, qui est tapissée d’ex-voto dont plusieurs ont plus de deux cents ans de date. Rien n’est plus expressif que ces pauvres petits tableaux représentant les navires battus par la tempête, ou brisés sur les écueils, et au bas desquels on lit le récit abrégé des périls courus et du salut envoyé. C’est le laconisme du journal du bord et l’éloquence énergique du navigateur chrétien dont l’oeil a mesuré le danger, et constaté la puissance surhumaine du pilote qui l’a conjuré. - Le nom du capitaine, celui du navire, sont apposés au bas du tableau avec la date du fait et de l’offrande. Plusieurs de ces ex-voto remontent au commencement du règne de Louis XIV. En parcourant l’échelle des âges on retrouve, sans se lasser d’admirer, la même conformité de sentiment dans la variété infinie des accidents maritimes.
A voir ainsi toutes ces épaves de l’Océan rangées avec ordre dans ce port de salut, on est porté à croire qu’elles ont dû y conserver toujours le calme et la sécurité d’un asile inviolable. Cependant il n’en est rien. Un jour Dieu a permis que le souffle de l’enfer souleva dans les âmes perverties une de ces tempêtes qui mettent en péril tous les témoignages éclatants de la foi, alors même qu’ils ont reçu la triple consécration du malheur, de l’héroïsme et de la mort. Le flot sacrilége de 93 est monté jusqu’au faîte de la côte de Grâce ; il s’est rué sur les ex-voto aussi bien que sur les reliquaires et le trésor des cathédrales et les tombes de Saint-Denis. Il a tout dispersé, mais plus favorisés que les richesses de l’Église et les cendres royales, les pauvres petits navires des naufragés de Honfleur, conduits par les voies mystérieuses d’un second sauvetage, sont venus reprendre leur mouillage paisible dans le vieux sanctuaire. Ils sont là comme auparavant, rangés sur les murs ou suspendus à la voûte, et affirmant par ce retour inespéré l’authenticité et la permanence de l’intervention miraculeuse dont ils rendent deux fois témoignage.
L’origine du pèlerinage de Notre-Dame-de-Grâce remonte au XIe siècle. La tradition rapporte que vers l’an 1034 Robert-le-Magnifique, duc de Normandie, faisant voile vers l’Angleterre, fut assailli d’une violente tempête, et qu’au plus fort du danger il promit de fonder trois chapelles et de les consacrer à la Sainte Vierge s’il revenait sain et sauf dans ses États. La tempête cessa, et le prince, aussitôt de retour, s’occupa d’accomplir son voeu. Il fit bâtir l’une des chapelles promises à Harfleur, près de son château, et la dédia à Notre-Dame-de-Pitié, une autre, près de Caen, qu’il appela Notre-Dame-de-la-Délivrande, et la troisième, construite sur le plateau qui domine Honfleur, reçut le nom de Notre-Dame-de-Grâce.
Cette chapelle fut d’abord desservie par des chapelains désignés par les fondateurs. Elle ne tarda pas à devenir un lieu de pèlerinage très-fréquenté, mais le premier document authentique qui soit resté sur son histoire est fourni par des lettres patentes du roi Louis XI, qui, le 28 janvier 1478, fit don de la chapelle de Notre-Dame-de-Grâce à la collégiale de Notre-Dame-de-Cléry. Ces lettres témoignent que la chapelle était dotée d’une certaine étendue de terrain, contenant une maison d’habitation, une grange, etc., etc.
Un violent tremblement de terre, arrivé le 29 septembre 1538, fit écrouler la chapelle et engloutit la partie de la falaise sur laquelle s’étendaient ses dépendances. Seuls un pan de muraille, un autel et une statue de la Sainte Vierge restèrent debout, et telle était la dévotion du peuple à ce lieu privilégié que de nombreux pélerins continuèrent à venir prier auprès de ces débris ; mais les éboulements ne cessant pas, on finit, en 1602, par enlever les derniers vestiges du sanctuaire afin d’empêcher les fidèles d’exposer leur vie.
Les Honfleurais regrettaient leur chapelle, et l’un d’eux, M. Gonnyer, entreprit d’en élever une nouvelle. Il en fit creuser les fondations à cent pas environ de l’ancienne, vers le sud-ouest, mais il en resta là, faute d’argent et de protections. Le terrain sur lequel il avait commencé à bâtir appartenait à Mademoiselle de Montpensier, comtesse de Roncheville et dame de Honfleur, et il fallait obtenir son autorisation. M. Gonnyer s’adressa alors au marquis de Fontenay, intendant des biens de la princesse, et celui-ci obtint d’elle le don d’un acre de terrain, et la permission de choisir huit chênes dans la forêt de Touques pour construire la charpente du nouvel édifice. Les offrandes des habitants de Honfleur firent le reste, et en moins d’une année, en 1613, la chapelle s’éleva ; mais elle se ressentait de la pauvreté qui régnait alors en France ; ce n’était qu’un petit bâtiment trois fois aussi long que large, couvert en chaume, isolé au milieu des bruyères, et ressemblant plutôt à une grange qu’à un oratoire. - Cependant les chanoines de Cléry revendiquèrent leurs anciens droits sur la chapelle de Grâce, mais ils ne furent pas écoutés, et un arrêt du Parlement de Normandie, après avoir constaté que le nouveau sanctuaire n’était pas construit sur le terrain donné à la collégiale de Notre-Dame-de-Cléry par Louis XI, les débouta de leurs prétentions.
Ce fut alors que les RR. PP. Capucins vinrent s’établir à Honfleur, sur l’invitation du gouverneur de la ville, Étienne de la Roque. M. de Fontenay obtint de Mademoiselle de Montpensier, que ces religieux seraient mis en possession de la chapelle et des terrains avoisinants. Les Capucins furent donc installés à Notre-Dame-de-Grâce le 16 mars 1621, par M. L’abbé Durand le Saulnier, délégué à cet effet par Mgr l’évêque de Lisieux, et en signe de prise de possession, ils plantèrent une grande croix de bois sur le lieu même où avaient été les ruines de l’ancienne chapelle.
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Tels sont les seuls renseignements qui nous restent sur l’établissement de la famille Franciscaine sur la côte de Honfleur. Le voyageur chrétien qui lira ces lignes trouvera aisément dans ses souvenirs pieux et ses sympathiques aspirations la justification de l’acte du magistrat Honfleurais. Il n’en sera pas de même du touriste libre penseur qui croit voir dans l’expulsion des religieux et la spoliation des couvents en Italie et en Pologne la marche naturelle du progrès, le triomphe de la liberté de conscience, et l’anéantissement définitif de l’influence cléricale et des ténèbres du moyen-âge. En effet, pour le vandale, ganté et ignorant de la démocratie contemporaine, tout ce qui est marqué du signe de la croix dans le passé et dans le présent, se confond et se résume dans ces deux formules, qui du reste sont parfaitement en rapport avec la mesure de son érudition et de son intelligence. - Quant au philosophe attardé de l’école du XVIIIe siècle, son antipathie pour les ordres religieux est moins menaçante. Effrayés par les commotions révolutionnaires de 93 et de 1848, les derniers voltairiens sont devenus conservateurs. Inquiets des progrès de la libre pensée ils conviennent et même ils professent que les religieux capucins, bénédictins et trappistes, ne sont pas seulement des hommes qui ont les pieds nus, la tête rasée, de longues barbes et un vêtement singulier, mais qu’ils ont rendu autrefois de grands services aux lettres, à l’agriculture et à la société toute entière en des jours de calamité. Et, s’ils étaient bien sûrs que l’existence et l’influence des ordres monastiques puissent leur offrir des garanties pour leur repos et leurs rentes, bien loin de voter pour l’ostracisme avec le Siècle et l’Opinion nationale, ils accorderaient généreusement et sans examen, un brevet d’instituteur au jésuite, l’exploitation d’une ferme modèle au trappiste, et au frère de Saint-Jean de Dieu et au capucin, le service d’un hôpital et d’un poste de pompiers.
Nous tenons pour certain qu’Étienne de la Roque entrevoyait au moins tous ces avantages à travers les ténèbres du moyen-âge et le fanatisme clérical qui pesaient encore sur la France au XVIIe siècle. - De plus, ce magistrat chrétien, sollicité par l’intérêt d’une cité populeuse, avait compris qu’il lui fallait des aides, des auxiliaires actifs, dévoués et charitables, afin de pourvoir à des besoins moraux en présence desquels l’administration la mieux organisée est toujours impuissante. Il savait que l’apostolat des ordres monastiques était nécessaire pour former et maintenir entre les riches et les pauvres les liens de la charité, régler la vie opulente des uns et adoucir les souffrances des autres, et communiquer à tous, en prêchant d’exemple, le secret de bien vivre et de bien mourir.
C’est pour cela, sans doute, qu’Étienne de la Roque appela les Capucins à Honfleur. Qui pouvait, en effet, mieux remplir cette mission que cette humble et généreuse milice de Saint-François, que ces pauvres volontaires, devenus à l’exemple de leur saint fondateur les chevaliers errants de l’amour divin, marchant à sa suite et comme lui sous l’étendard des stigmates du Christ, servant Dieu, et honorant la sainte pauvreté en souvenir de Bethléhem et de Nazareth, et aussi parce qu’elle est à la fois la plus méprisée et la plus générale des conditions humaines.
A défaut d’enquête positive, nous pouvons affirmer que l’installation des RR. PP. Capucins à Honfleur en 1621 ne peut être autrement motivée.
L’année précédente, 1620, M. de Fontenay était tombé dangereusement malade à Paris. Les médecins ne conservaient plus aucun espoir de guérison : dans cette extrémité le malade se recommanda à Notre-Dame-de-Grâce, dont il était depuis plusieurs années l’économe zélé, le serviteur infatigable. Bientôt après il perdit connaissance et tomba dans un sommeil léthargique, si bien qu’on le crut mort et que ses serviteurs le revêtirent de l’habit de Franciscain dans lequel il avait demandé à être enseveli. On sonna les cloches à sa paroisse et même à Honfleur, où la nouvelle de sa mort fut envoyée. Mais au bout de sept heures de léthargie, M. de Fontenay s’éveilla, demanda ses habits ordinaires et alla se mettre à table. Il vécut encore vingt ans, s’employant avec plus de zèle que jamais à servir la bonne maîtresse qui lui avait rendu la santé. Cet homme de bien mourut à Honfleur en 1640 et fut enterré dans l’église Sainte-Catherine.
Après sa mort, les pères Capucins supprimèrent les quêtes qu’il faisait faire pour l’entretien de la chapelle et ne voulurent plus d’autre économe que la Providence. Elle ne leur fit pas défaut : Les pélerins affluèrent à la chapelle que le Pape Paul V avait dotée d’une indulgence plénière, et tous, pauvres, riches, gentilshommes et matelots, s’empressèrent de compléter et d’orner le petit sanctuaire. M. de Meautry et le marquis de Fatouville d’Hébertot firent construire les deux chapelles latérales. Le choeur fut ajouté au moyen des aumônes des fidèles. M. de Villars en actions de grâces de la guérison de son fils, donna la somme nécessaire pour couvrir l’édifice en ardoises. M. d’Herbigny paya les faîtages en plomb et Mme l’Abbesse de Montivilliers donna en 1630 les ormes que le Père Michel-Ange planta autour de la chapelle, et qui la défendent encore contre les vents et abritent aux jours de fêtes les nombreux pélerins que le petit sanctuaire ne peut contenir. Vers la même époque, le frère Constance, qui était un ingénieur distingué et que le gouvernement avait employé à diriger d’importants travaux hydrauliques exécutés à la citadelle du Havre, à Brest et à Belle-Ile, entoura la chapelle d’un pavé destiné à l’assainir et construit une citerne qui existe encore.
Il semblait qu’une donation faite par une princesse et confirmée par l’arrêt du Parlement de Normandie, aurait dû assurer aux bons pères Capucins la paisible jouissance du terrain environnant la chapelle. Il n’en fut rien cependant, et plusieurs procès vinrent mettre leurs droits en question. Il serait long et fastidieux de les raconter ; un seul trait suffit pour les caractériser : certains voisins prétendaient retrouver auprès de la nouvelle chapelle leurs terres englouties avec l’ancienne. Fidèles à l’esprit de leur ordre, les bons pères aimèrent mieux céder que de contester, et abandonnèrent aux envahisseurs Normands une partie de leur chétif domaine. Ils plantèrent un petit jardin, qui fut pillé, mais ce qui les affligea davantage, leur croix de bois fut renversée trois fois par des mains inconnues, et enfin brisée et souillée. Ils la remplacèrent par une croix de pierre que leur donna M. Thierry, et qu’ils posèrent plus près de la chapelle que ne l’avait été la première.
Peu après ces nuages se dissipèrent. La patience des bons pères désarma leurs ennemis, et, lors des pestes terribles qui ravagèrent Honfleur en 1636 et 1649, on vit les Capucins au chevet des malades, distribuant partout les secours spirituels et temporels, ensevelissant les morts et donnant l’exemple d’un courage et d’une charité sans bornes. La reconnaissance et l’admiration de toute la contrée furent acquises alors aux bons religieux. Chacun s’empressa d’améliorer leur situation, et les gardiens de la chapelle devinrent aussi populaires que la chapelle elle-même.
Alors, comme aujourd’hui, le pèlerinage de Notre-Dame-de-Grâce était surtout cher aux marins. Ces hommes qui vivent en présence de la mort, entre cet Océan, tombe toujours ouverte, et le ciel où le calme et les tempêtes se succèdent à l’ordre d’un commandant invisible et tout puissant, ces hommes ont la foi simple et naïve des petits enfants, et leur coeur intrépide est fidèle à l’étoile de la mer, comme l’aiguille aimantée l’est au pôle.
Aussi avons nous vu que les ex-voto les plus nombreux et les plus intéressants de la chapelle ont été offerts par des marins. L’appendice joint à la présente notice renferme le récit de quelques-uns des sauvetages, que M. l’abbé Vastel copia sur le manuscrit des pères Capucins. Il eut été facile de donner à ces courtes narrations une forme plus littéraire, mais elles y eussent perdu leur caractère de vérité naïve. Les braves matelots qui arrivaient pieds nus à la chapelle racontaient leurs dangers et leur délivrance en peu de mots : le père gardien transcrivait en quelques lignes, on signait, et souvent une nouvelle troupe de pélerins qui attendait son tour, appelait le bon père et le pressait de finir. Il en résulte que ces récits par leur brièveté même offrent une certaine monotonie. - Il n’en est pas de même à la chapelle où cette foule de petits navires peints sans art, les uns démâtés, les autres à demi renversés sous des vagues énormes, ces naufragés flottant sur les débris de leurs embarcations, ou nageant en pleine mer, présentent une suite de scènes émouvantes qu’on ne se lasse pas de regarder. Quelle que soit l’inhabileté des peintres qui les ont représentées, le bruit des vagues, cette plainte incessante qui résonne sous la voûte de la chapelle, semble animer ces naïfs tableaux et retracer à l’imagination du spectateur l’effrayante réalité des tempêtes, les angoisses des marins et les gémissements de ceux qui les attendent au rivage.
Autrefois les pélerins montaient à Notre-Dame-de-Grâce par un sentier qui serpente sur le versant oriental du côteau et d’où l’on découvre toute la ville, le port, les collines de la rive gauche et l’entrée du fleuve dans la baie. Le nouveau chemin plus court, plus facile et d’où l’on domine une perspective plus belle et plus étendue a fait délaisser l’ancien. Mais le sentier tortueux du Mont-Joli restera toujours cher aux pélerins qui explorent la côte de Grâce pour chercher et raviver le souvenir de leurs pieux devanciers. C’est par ces pentes abruptes que passa Mgr. de Belsunce, lorsqu’il vint à Honfleur en 1723 accomplir le voeu qu’il avait fait à Notre-Dame-de-Grâce pendant la peste de Marseille. Il fut reçu à Honfleur dans le couvent des RR. PP. Capucins, et ceux-ci pleins d’admiration pour leur hôte, notèrent avec soin tous les incidents de son pèlerinage. - Voici leur récit, qui nous montre dans toute sa noble simplicité, l’illustre évêque de Marseille gravissant l’âpre sentier le crucifix à la main, les pieds nus et ensanglantés, et imitant saint Charles Borromée dans sa prière d’actions de grâces, comme il l’avait imité dans son héroïque dévouement.
« Le vénérable évêque de Marseille arriva à Honfleur le 10 mai 1723 à 4 heures du soir, il fut reçu par le clergé de Sainte-Catherine, Saint-Etienne, Notre-Dame et Saint-Léonard, et par Messieurs de l’administration.
Le 12, à dix heures du matin, le son des cloches se fait entendre ; les prêtres se rendent au couvent des RR. PP. Capucins. Le peuple de la ville et des environs encombre la rue et le chemin par où le cortège doit passer. A 11 heures, la procession sort du cloître. Les pères Capucins ouvrent la marche, n’ayant pour ornement que leur antique croix de bois. A côté du R. P. gardien marche sa Grandeur, pieds nus ; son visage vénérable est inondé de pleurs. Il tient dans ses mains l’image du Sauveur crucifié. Le chemin est impraticable ; les pieds de ce bon pasteur sont écorchés et pleins de sang. Il arrive au sommet du côteau, porte ses regards sur le Calvaire, adore la croix, et bénit le peuple en silence.
Avant d’entrer dans le sanctuaire dédié à Marie, ce digne pasteur s’agenouille sur la terre et prie, en élevant les yeux vers le Ciel, sous le modeste portail couvert en chaume. Le père gardien desservant la chapelle présente la croix à sa Grandeur, qui reçoit aussi l’eau bénite. Monseigneur la présente au peuple et au clergé. Au moment où le père gardien s’apprête à l’encenser, Monseigneur prend l’encensoir des mains du Père et encense l’image de Marie en disant : Sancta Maria.
Monseigneur se prosterne devant la Très-Sainte Vierge et prie en silence, puis élevant la voix, il consacre à Marie sa bonne ville de Marseille et il demande à la Reine du ciel de protéger notre cité et ses habitants. Ensuite il monte à l’autel et fait une courte allocution, publiant la grandeur et les bienfaits de la Sainte Mère de Dieu. Aussitôt commence la messe qui est suivie du Regina Cæli et du Te Deum.
La procession retourne dans le même ordre sa Grandeur étant au Calvaire a chanté l’antienne Christus delivit. Après le verset et l’oraison Monseigneur a donné la bénédiction pontificale ; puis se tournant vers la mer il a béni les navires.
La procession de retour au couvent des pères Capucins, l’illustre pontife s’est reposé. Immédiatement après il a visité les églises et les personnes notables de la ville.
Le 14, Mgr. de Belsunce a officié pontificalement à Sainte-Catherine. Il était accompagné de son grand vicaire. Il est reparti de notre ville le 15, laissant aux pauvres des marques de sa libéralité. (3) »
Nous tenons pour certain qu’Étienne de la Roque entrevoyait au moins tous ces avantages à travers les ténèbres du moyen-âge et le fanatisme clérical qui pesaient encore sur la France au XVIIe siècle. - De plus, ce magistrat chrétien, sollicité par l’intérêt d’une cité populeuse, avait compris qu’il lui fallait des aides, des auxiliaires actifs, dévoués et charitables, afin de pourvoir à des besoins moraux en présence desquels l’administration la mieux organisée est toujours impuissante. Il savait que l’apostolat des ordres monastiques était nécessaire pour former et maintenir entre les riches et les pauvres les liens de la charité, régler la vie opulente des uns et adoucir les souffrances des autres, et communiquer à tous, en prêchant d’exemple, le secret de bien vivre et de bien mourir.
C’est pour cela, sans doute, qu’Étienne de la Roque appela les Capucins à Honfleur. Qui pouvait, en effet, mieux remplir cette mission que cette humble et généreuse milice de Saint-François, que ces pauvres volontaires, devenus à l’exemple de leur saint fondateur les chevaliers errants de l’amour divin, marchant à sa suite et comme lui sous l’étendard des stigmates du Christ, servant Dieu, et honorant la sainte pauvreté en souvenir de Bethléhem et de Nazareth, et aussi parce qu’elle est à la fois la plus méprisée et la plus générale des conditions humaines.
A défaut d’enquête positive, nous pouvons affirmer que l’installation des RR. PP. Capucins à Honfleur en 1621 ne peut être autrement motivée.
L’année précédente, 1620, M. de Fontenay était tombé dangereusement malade à Paris. Les médecins ne conservaient plus aucun espoir de guérison : dans cette extrémité le malade se recommanda à Notre-Dame-de-Grâce, dont il était depuis plusieurs années l’économe zélé, le serviteur infatigable. Bientôt après il perdit connaissance et tomba dans un sommeil léthargique, si bien qu’on le crut mort et que ses serviteurs le revêtirent de l’habit de Franciscain dans lequel il avait demandé à être enseveli. On sonna les cloches à sa paroisse et même à Honfleur, où la nouvelle de sa mort fut envoyée. Mais au bout de sept heures de léthargie, M. de Fontenay s’éveilla, demanda ses habits ordinaires et alla se mettre à table. Il vécut encore vingt ans, s’employant avec plus de zèle que jamais à servir la bonne maîtresse qui lui avait rendu la santé. Cet homme de bien mourut à Honfleur en 1640 et fut enterré dans l’église Sainte-Catherine.
Après sa mort, les pères Capucins supprimèrent les quêtes qu’il faisait faire pour l’entretien de la chapelle et ne voulurent plus d’autre économe que la Providence. Elle ne leur fit pas défaut : Les pélerins affluèrent à la chapelle que le Pape Paul V avait dotée d’une indulgence plénière, et tous, pauvres, riches, gentilshommes et matelots, s’empressèrent de compléter et d’orner le petit sanctuaire. M. de Meautry et le marquis de Fatouville d’Hébertot firent construire les deux chapelles latérales. Le choeur fut ajouté au moyen des aumônes des fidèles. M. de Villars en actions de grâces de la guérison de son fils, donna la somme nécessaire pour couvrir l’édifice en ardoises. M. d’Herbigny paya les faîtages en plomb et Mme l’Abbesse de Montivilliers donna en 1630 les ormes que le Père Michel-Ange planta autour de la chapelle, et qui la défendent encore contre les vents et abritent aux jours de fêtes les nombreux pélerins que le petit sanctuaire ne peut contenir. Vers la même époque, le frère Constance, qui était un ingénieur distingué et que le gouvernement avait employé à diriger d’importants travaux hydrauliques exécutés à la citadelle du Havre, à Brest et à Belle-Ile, entoura la chapelle d’un pavé destiné à l’assainir et construit une citerne qui existe encore.
Il semblait qu’une donation faite par une princesse et confirmée par l’arrêt du Parlement de Normandie, aurait dû assurer aux bons pères Capucins la paisible jouissance du terrain environnant la chapelle. Il n’en fut rien cependant, et plusieurs procès vinrent mettre leurs droits en question. Il serait long et fastidieux de les raconter ; un seul trait suffit pour les caractériser : certains voisins prétendaient retrouver auprès de la nouvelle chapelle leurs terres englouties avec l’ancienne. Fidèles à l’esprit de leur ordre, les bons pères aimèrent mieux céder que de contester, et abandonnèrent aux envahisseurs Normands une partie de leur chétif domaine. Ils plantèrent un petit jardin, qui fut pillé, mais ce qui les affligea davantage, leur croix de bois fut renversée trois fois par des mains inconnues, et enfin brisée et souillée. Ils la remplacèrent par une croix de pierre que leur donna M. Thierry, et qu’ils posèrent plus près de la chapelle que ne l’avait été la première.
Peu après ces nuages se dissipèrent. La patience des bons pères désarma leurs ennemis, et, lors des pestes terribles qui ravagèrent Honfleur en 1636 et 1649, on vit les Capucins au chevet des malades, distribuant partout les secours spirituels et temporels, ensevelissant les morts et donnant l’exemple d’un courage et d’une charité sans bornes. La reconnaissance et l’admiration de toute la contrée furent acquises alors aux bons religieux. Chacun s’empressa d’améliorer leur situation, et les gardiens de la chapelle devinrent aussi populaires que la chapelle elle-même.
Alors, comme aujourd’hui, le pèlerinage de Notre-Dame-de-Grâce était surtout cher aux marins. Ces hommes qui vivent en présence de la mort, entre cet Océan, tombe toujours ouverte, et le ciel où le calme et les tempêtes se succèdent à l’ordre d’un commandant invisible et tout puissant, ces hommes ont la foi simple et naïve des petits enfants, et leur coeur intrépide est fidèle à l’étoile de la mer, comme l’aiguille aimantée l’est au pôle.
Aussi avons nous vu que les ex-voto les plus nombreux et les plus intéressants de la chapelle ont été offerts par des marins. L’appendice joint à la présente notice renferme le récit de quelques-uns des sauvetages, que M. l’abbé Vastel copia sur le manuscrit des pères Capucins. Il eut été facile de donner à ces courtes narrations une forme plus littéraire, mais elles y eussent perdu leur caractère de vérité naïve. Les braves matelots qui arrivaient pieds nus à la chapelle racontaient leurs dangers et leur délivrance en peu de mots : le père gardien transcrivait en quelques lignes, on signait, et souvent une nouvelle troupe de pélerins qui attendait son tour, appelait le bon père et le pressait de finir. Il en résulte que ces récits par leur brièveté même offrent une certaine monotonie. - Il n’en est pas de même à la chapelle où cette foule de petits navires peints sans art, les uns démâtés, les autres à demi renversés sous des vagues énormes, ces naufragés flottant sur les débris de leurs embarcations, ou nageant en pleine mer, présentent une suite de scènes émouvantes qu’on ne se lasse pas de regarder. Quelle que soit l’inhabileté des peintres qui les ont représentées, le bruit des vagues, cette plainte incessante qui résonne sous la voûte de la chapelle, semble animer ces naïfs tableaux et retracer à l’imagination du spectateur l’effrayante réalité des tempêtes, les angoisses des marins et les gémissements de ceux qui les attendent au rivage.
Autrefois les pélerins montaient à Notre-Dame-de-Grâce par un sentier qui serpente sur le versant oriental du côteau et d’où l’on découvre toute la ville, le port, les collines de la rive gauche et l’entrée du fleuve dans la baie. Le nouveau chemin plus court, plus facile et d’où l’on domine une perspective plus belle et plus étendue a fait délaisser l’ancien. Mais le sentier tortueux du Mont-Joli restera toujours cher aux pélerins qui explorent la côte de Grâce pour chercher et raviver le souvenir de leurs pieux devanciers. C’est par ces pentes abruptes que passa Mgr. de Belsunce, lorsqu’il vint à Honfleur en 1723 accomplir le voeu qu’il avait fait à Notre-Dame-de-Grâce pendant la peste de Marseille. Il fut reçu à Honfleur dans le couvent des RR. PP. Capucins, et ceux-ci pleins d’admiration pour leur hôte, notèrent avec soin tous les incidents de son pèlerinage. - Voici leur récit, qui nous montre dans toute sa noble simplicité, l’illustre évêque de Marseille gravissant l’âpre sentier le crucifix à la main, les pieds nus et ensanglantés, et imitant saint Charles Borromée dans sa prière d’actions de grâces, comme il l’avait imité dans son héroïque dévouement.
« Le vénérable évêque de Marseille arriva à Honfleur le 10 mai 1723 à 4 heures du soir, il fut reçu par le clergé de Sainte-Catherine, Saint-Etienne, Notre-Dame et Saint-Léonard, et par Messieurs de l’administration.
Le 12, à dix heures du matin, le son des cloches se fait entendre ; les prêtres se rendent au couvent des RR. PP. Capucins. Le peuple de la ville et des environs encombre la rue et le chemin par où le cortège doit passer. A 11 heures, la procession sort du cloître. Les pères Capucins ouvrent la marche, n’ayant pour ornement que leur antique croix de bois. A côté du R. P. gardien marche sa Grandeur, pieds nus ; son visage vénérable est inondé de pleurs. Il tient dans ses mains l’image du Sauveur crucifié. Le chemin est impraticable ; les pieds de ce bon pasteur sont écorchés et pleins de sang. Il arrive au sommet du côteau, porte ses regards sur le Calvaire, adore la croix, et bénit le peuple en silence.
Avant d’entrer dans le sanctuaire dédié à Marie, ce digne pasteur s’agenouille sur la terre et prie, en élevant les yeux vers le Ciel, sous le modeste portail couvert en chaume. Le père gardien desservant la chapelle présente la croix à sa Grandeur, qui reçoit aussi l’eau bénite. Monseigneur la présente au peuple et au clergé. Au moment où le père gardien s’apprête à l’encenser, Monseigneur prend l’encensoir des mains du Père et encense l’image de Marie en disant : Sancta Maria.
Monseigneur se prosterne devant la Très-Sainte Vierge et prie en silence, puis élevant la voix, il consacre à Marie sa bonne ville de Marseille et il demande à la Reine du ciel de protéger notre cité et ses habitants. Ensuite il monte à l’autel et fait une courte allocution, publiant la grandeur et les bienfaits de la Sainte Mère de Dieu. Aussitôt commence la messe qui est suivie du Regina Cæli et du Te Deum.
La procession retourne dans le même ordre sa Grandeur étant au Calvaire a chanté l’antienne Christus delivit. Après le verset et l’oraison Monseigneur a donné la bénédiction pontificale ; puis se tournant vers la mer il a béni les navires.
La procession de retour au couvent des pères Capucins, l’illustre pontife s’est reposé. Immédiatement après il a visité les églises et les personnes notables de la ville.
Le 14, Mgr. de Belsunce a officié pontificalement à Sainte-Catherine. Il était accompagné de son grand vicaire. Il est reparti de notre ville le 15, laissant aux pauvres des marques de sa libéralité. (3) »
Déchet- Serviteur
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Nombre de messages : 756
Age : 56
Localisation : Dans une poubel appeler planet terre
Humeur : Dangereuse
tendances politiques : Révolutionaire
Date d'inscription : 05/03/2008
Niveau de Courtoisie:
Gérer par le Tribunal:
(14/14)
Argent de poche:
(1/100)
CHAPITRE III LA RÉVOLUTION
C’est en vain que la foi des peuples et tant de grâces répandus par Notre-Dame, semblaient devoir protéger l’humble sanctuaire et les religieux qui le desservaient. L’heure des profanations allait sonner dans la France entière : la Révolution éclata, et toutes les communautés furent dissoutes. A Honfleur on espéra un moment garder les Capucins. Une pétition rédigée dans ce but par M. Allais, curé de Ste-Catherine, et M. Baudin, curé de St-Léonard, fut lue dans une assemblée générale des habitants de Honfleur, le 10 novembre 1790. « La suppression des communautés, disaient les pétitionnaires, nous fait craindre d’être privés des secours importants que nous retirons des Capucins de cette ville. Ces religieux se sont dans tous les temps, prêtés à obliger la ville et les campagnes voisines, et par la droiture de leurs intentions et la justice de leurs procédés, ils se sont attirés l’estime et la confiance publique……. Il y a encore » ajoutaient-ils « une petite chapelle, située sur la côte de Grâce, sous l’invocation de la Très-Sainte Vierge, qui est en grande vénération dans toute la contrée, et nous demandons sa conservation. »
Les habitants de Honfleur appuyèrent cette demande et adressèrent leur pétition à l’Assemblée Nationale, mais elle eut le sort de bien d’autres. Deux mois après, on réclamait de tous les ecclésiastiques le serment politique. Les Capucins le refusèrent, et lorsque Fauchet, l’évêque constitutionnel du Calvados, vint faire sa première visite à Honfleur, en mai 1791, ils refusèrent de le recevoir. Ce fut le signal de leur dispersion. Ils étaient alors au nombre de huit : le père Firmin, gardien, les pères Hémery, Hugues, Gélas, Henry et Norbert, vicaires, Gerbold et Martin, frères lais. Tous se retirèrent au couvent de leur ordre qui existait alors à Lisieux, et qui ne tarda pas à être supprimé.
Leur maison de Honfleur fut occupée par la gendarmerie, puis vendue plus tard à des personnes qui la démolirent.
Honfleur avait alors pour maire un de ses plus respectables habitants, M. Cachin. Il forma le projet d’acheter la chapelle, déclarée propriété nationale, afin de la préserver de toute profanation et de conserver comme lieu de promenade publique, les terrains plantés d’arbres qui l’entouraient. Il s’adjoignit à cet effet plusieurs notables de la ville : MM. Nicolas-Thibault Lion, Jean Daufresne, Chauffer de Barneville, Lecesne du Puits, Gentien Lecesne, Louis-Robert Morin ; Henry-Thomas Quillet, Fossard et Jean-Baptiste Coquerel. Une souscription fut ouverte par leurs soins. Les principaux souscripteurs furent :
Le père Henry, capucin, pour plusieurs personnes……………………….. 102 livres.
J.-B. Hamelin……………………….. 24 » »
Pierre-Louis Luce……………………….. 12 » »
Hébert-Desrocquettes……………………….. 48 » »
L’abbé Charles Delaunay……………………….. 120 » »
Coudre Lacoudrais……………………….. 100 » »
La Chambre maritime……………………….. 374 » »
Bruneau, négociant……………………….. 30 » »
Lecarpentier, procureur de la commune……………………….. 50 » »
La Société des amis de la Constitution……………………….. 777 » »
Quête dans le quartier St-Léonard……………………….. 291 » »
Quête dans le quartier Ste-Catherine……………………….. 468 » »
La 5me compagnie de la garde nationale……………………….. 41 » »
La ville de Honfleur complèta la somme.
Le 17 février 1791, M. Cachin et, ses associés achetèrent des administrateurs du district de Pont-l’Evêque la chapelle de Grâce et ses dépendances, moyennant 3525 livres, puis ils en firent don à la ville de Honfleur, et le père Victor, capucin, fut chargé de desservir la chapelle. Mais ce ne fut qu’un instant de trève : l’administration changea, et la démagogie triomphante accomplit son oeuvre sacrilége. En 93 la chapelle fut pillée et transformée en taverne, l’antique statue fut anéantie « Et ceux qui venaient naguères y prier et demander des grâces, s’oublièrent jusqu’à commettre des orgies dans un lieu où tout, jusqu’aux murailles, leur reprochait leur apostasie. (4) »
A l’époque du concordat, la chapelle fut enfin rendue au culte. Hors un seul autel, oublié dans un coin obscur, rien ne restait dans son enceinte souillée. Elle fut réconciliée, garnie peu à peu des objets indispensables, et quelques prêtres y vinrent de temps à autre célébrer les saints mystères. En 1805, le Conseil municipal de Honfleur présenta M. l’abbé Berthelot à la nomination de Mgr. l’évêque de Bayeux. Le nouveau chapelain s’occupa activement de recomposer le mobilier de la chapelle, mais tout était à faire, les dons étaient rares et M. Berthelot entraîné par son zèle, contracta des dettes qu’il ne put payer. Il en fit l’aveu dans une lettre touchante qu’il adressa au Conseil municipal de Honfleur et qui fut comme le testament de ce bon prêtre. Il mourut deux mois après l’avoir écrite, et les Honfleurais tinrent à honneur d’acquitter toutes ses dettes, se montant à la somme de 16,214 fr.
M. l’abbé Fossé, vicaire de Sainte-Catherine, succéda à M. Berthelot et desservit la chapelle de 1818 à 1822. Cette année-là, Mgr. de Bayeux nomma chapelain M. l’abbé Vastel, homme instruit et prédicateur distingué. Vicaire à Barneville avant la révolution, il avait émigré en Pologne, et revenu après dix ans d’exil, il dirigeait à Honfleur une école secondaire, et avait publié un essai historique sur cette ville. Il desservit la chapelle de Notre-Dame-de-Grâce jusqu’à sa mort, arrivée en 1839, et n’épargna rien pour rendre au pèlerinage son ancienne popularité. Mais les temps étaient difficiles et plusieurs passages de la notice qu’il publia sur la chapelle de Notre-Dame-de-Grâce témoignent de la profonde tristesse qui remplissait son coeur sacerdotal : « Toutes les indulgences obtenues pour ceux qui visitaient la chapelle, dit-il, sont éteintes, et n’ont plus de valeur, tout ayant été changé à la révolution, chapelains, autels, office même, religion, piété et ferveur……. sous prétexte de remédier à un mal apparent, on en a commis un réel, la liberté est une idole que chacun taille à sa fantaisie. Les uns l’enchaînent, les autres la déchaînent, et personne ne lui donne une forme humaine……. Dieu est presque méconnu, la piété n’est plus d’usage et les temples sont à peu près abandonnés. »
M. Vastel mourut en 1839, et après quelques débats occasionnés par le droit que prétendait avoir le Conseil municipal de Honfleur de désigner au choix de l’Évêque le nouveau Chapelain, Mgr l’évêque de Bayeux, nomma de motu proprio, M. l’abbé Aubert qui dessert actuellement la chapelle.
__
Dans une froide matinée de février 1848, alors que les vents d’hiver ébranlaient les arbres et gémissaient autour de la petite chapelle, une femme pauvrement vêtue, belle encore, quoique au déclin de l’âge, vint s’agenouiller aux pieds de Notre-Dame-de-Grâce. Elle entendit la messe, communia, et quitta l’église après une longue prière. Personne ne l’avait remarquée à cette heure matinale et l’eut-on fait, qui se serait étonné de voir à la chapelle, les yeux fatigués de larmes, une femme, une mère aux cheveux blancs ? Jamais cependant pareilles douleurs n’étaient venues là chercher refuge et consolation. De ce front qui s’inclinait venait de tomber une couronne. Marie-Amélie fugitive ignorait le sort de ses enfants, abandonnait des tombes chéries et prête à s’éloigner à jamais de ce beau royaume où elle avait semé tant de bienfaits et répandu tant de pleurs, elle était venue confier à la Mère de douleurs, ses dernières espérances. Celui qui, la veille encore, était Roi, l’attendait près de là, caché dans la maison d’un ami. S’il fut venu, instruit par l’adversité, s’agenouiller auprès de la Reine, s’il eut prié comme elle, l’âme toute chrétienne de Marie-Amélie eut tressailli de joie, et le Te Deum eut jailli de son coeur à demi brisé. Mais il ne vint pas à la chapelle, et le soir même, les deux époux prirent ensemble la route de l’exil, lui, courbant la tête et subissant la peine du talion, elle, partageant l’expiation, abreuvée de douleur, mais les yeux fixés vers l’éternelle patrie.
__
Tandis que le flot de la prospérité commerciale caresse et favorise le développement de la ville et du port du Havre, Honfleur reste stationnaire et semble même s’amoindrir, si l’on ne veut reconnaître le signe de la prospérité d’une ville que dans l’accroissement de ses richesses et de sa population, sans tenir compte de la démoralisation et des misères de toute espèce qui en sont le complément ordinaire. Le Havre, c’est le siège des armateurs et des spéculateurs cosmopolites qui luttent dans la sphère commerciale d’où sort la fortune ou la ruine des uns et des autres. C’est là que règnent l’activité dévorante de l’agiotage, la soif insatiable des richesses, l’avidité sans frein et le travail sans trève.
A la même distance de Honfleur, mais sur la même côte, le nom obscur de Trouville a conquis tout à coup une étonnante célébrité. Sa plage unie et sablonneuse est devenue le rendez-vous annuel de la fashion parisienne. Dès que les salons et les foyers des théâtres sont fermés, les quadrilles brillants prennent leur course vers ce point, et la plage déserte se couvre de laquais vêtus en grands seigneurs, de beaux messieurs habillés en palfreniers, mais portant des voiles verts pour tempérer les ardeurs du soleil et conserver leur teint. Les femmes, au contraire, bottées et coiffées comme des pages ou des mousquetaires, se promènent la canne à la main, parlant haut en public et fumant aux fenêtres. Puis, à l’heure voulue, cette population extravagante de comtes, de marquis, d’acteurs, de danseuses, de banquiers et de princesses, se baigne et tritonne pêle-mêle, sous les yeux des enfants et des valets.
Entre ces deux Babylone, celle où retentissent nuit et jour les clameurs du travail et les mugissements du veau d’or, et celle où l’opulente oisiveté étale au grand soleil son impudence et sa dégradation, l’aimable et antique cité de Honfleur, abritée par le sanctuaire de Notre-Dame-de-Grâce, conserve intacts son caractère patriarcal et sa paisible activité. Elle voit sans regret la vase qui retrécit son port, et les galets amoncelés sur ses rivages, puisqu’ils la préservent des périls de la cupidité et des corruptions de l’oisiveté en vacance. - L’étranger peut parcourir à toute heure ses rues tranquilles, jamais il n’y rencontre un visage effronté, jamais une voix insolente n’offense ses oreilles. - Les hommes travaillent, construisent des navires, réparent la barque et les filets, ou se reposent en attendant la marée montante. Modestes et laborieuses, les jeunes filles cousent, assises aux fenêtres, ou sur le seuil des maisons, près de leurs mères, et des enfants, tout occupés à faire flotter de petits bateaux sur les eaux limpides qui descendent du côteau. - C’est du côteau aussi que viennent ces traditions d’honneur et de chasteté. A Honfleur comme à Chartres, on est dans le domaine de Marie, et l’éclat de sa couronne semble se refléter sur le front candide des jeunes filles, sur les traits hâlés, intelligents et nobles de leurs parents.
Faut-il donc après cela tant vanter le fracas des villes opulentes, et dédaigner celles qui vivent dans un ordre régulier de travail et de paix ? Pour nous le choix n’est pas douteux, et les familles que la divine Providence a placées dans un centre moins agité ne doivent pas envier le sort de celles qui se forment et se dispersent dans les campements incertains et sur les pentes volcanisées des villes naissantes. - Les enfants grandissent mieux là où s’épanouissent les fleurs et où chantent les oiseaux du ciel. La maison rebâtie sur de vieilles murailles est plus solide et plus saine que celle qui s’élève sur des marais desséchés. Les boulevards improvisés, les hauts fourneaux et les forteresses de l’industrie exhalent des émanations malsaines qu’il faut parfois subir, mais non point rechercher. D’ailleurs la fortune des grandes villes n’est pas mieux assurée que celle des grands empires si elle n’a pour fondement la crainte du Seigneur et la soumission aux lois divines. - Nisi Dominus oedificaverit domum, in vanum laboraverunt qui oedificant eam.
Seul, le trône de Marie Immaculée résiste aux orages. Chaque siècle en s’écoulant forme une assise nouvelle, marquée du triple sceau de l’art, de la science et de la foi, et lorsque des mains impies prétendent la briser, leur oeuvre sacrilége se tourne contre elles-mêmes. Bientôt les débris enfouis ou dispersés sortent de terre comme les graines semées par le vent du ciel et qui vont porter au loin le merveilleux secret de leur germination. - Selon de pieux desseins, l’humble chapelle de Notre-Dame-de-Grâce doit bientôt se transformer en un sanctuaire plus vaste et plus beau. Comment cela se fera-t-il ? Dieu le sait, et nous n’avons pas à nous mettre en peine des moyens qu’il emploiera pour réaliser ce voeu, si tant est qu’il l’agrée. - Le sou du pauvre, le bracelet de la grande dame, l’or de l’inconnu tomberont dans la bourse de quelque quêteur, bien simple, bien ignorant des habiletés mondaines, mais confiant et actif. Il fera venir des ouvriers, on creusera le sol, et de cette terre dès longtemps fécondée par les faveurs du ciel et la prière des humbles, la nouvelle église germera et s’élèvera comme un lys dans la vallée d’Hébron. Et de même qu’à Boulogne, à Marseille, à Alger, la lampe du sanctuaire de Notre-Dame-de-Grâce dominera les phares, projettera sa douce lumière sur le rivage, et attirera vers elle les navigateurs et les pélerins qui fuient les mêmes tempêtes et cherchent le même port.
Les habitants de Honfleur appuyèrent cette demande et adressèrent leur pétition à l’Assemblée Nationale, mais elle eut le sort de bien d’autres. Deux mois après, on réclamait de tous les ecclésiastiques le serment politique. Les Capucins le refusèrent, et lorsque Fauchet, l’évêque constitutionnel du Calvados, vint faire sa première visite à Honfleur, en mai 1791, ils refusèrent de le recevoir. Ce fut le signal de leur dispersion. Ils étaient alors au nombre de huit : le père Firmin, gardien, les pères Hémery, Hugues, Gélas, Henry et Norbert, vicaires, Gerbold et Martin, frères lais. Tous se retirèrent au couvent de leur ordre qui existait alors à Lisieux, et qui ne tarda pas à être supprimé.
Leur maison de Honfleur fut occupée par la gendarmerie, puis vendue plus tard à des personnes qui la démolirent.
Honfleur avait alors pour maire un de ses plus respectables habitants, M. Cachin. Il forma le projet d’acheter la chapelle, déclarée propriété nationale, afin de la préserver de toute profanation et de conserver comme lieu de promenade publique, les terrains plantés d’arbres qui l’entouraient. Il s’adjoignit à cet effet plusieurs notables de la ville : MM. Nicolas-Thibault Lion, Jean Daufresne, Chauffer de Barneville, Lecesne du Puits, Gentien Lecesne, Louis-Robert Morin ; Henry-Thomas Quillet, Fossard et Jean-Baptiste Coquerel. Une souscription fut ouverte par leurs soins. Les principaux souscripteurs furent :
Le père Henry, capucin, pour plusieurs personnes……………………….. 102 livres.
J.-B. Hamelin……………………….. 24 » »
Pierre-Louis Luce……………………….. 12 » »
Hébert-Desrocquettes……………………….. 48 » »
L’abbé Charles Delaunay……………………….. 120 » »
Coudre Lacoudrais……………………….. 100 » »
La Chambre maritime……………………….. 374 » »
Bruneau, négociant……………………….. 30 » »
Lecarpentier, procureur de la commune……………………….. 50 » »
La Société des amis de la Constitution……………………….. 777 » »
Quête dans le quartier St-Léonard……………………….. 291 » »
Quête dans le quartier Ste-Catherine……………………….. 468 » »
La 5me compagnie de la garde nationale……………………….. 41 » »
La ville de Honfleur complèta la somme.
Le 17 février 1791, M. Cachin et, ses associés achetèrent des administrateurs du district de Pont-l’Evêque la chapelle de Grâce et ses dépendances, moyennant 3525 livres, puis ils en firent don à la ville de Honfleur, et le père Victor, capucin, fut chargé de desservir la chapelle. Mais ce ne fut qu’un instant de trève : l’administration changea, et la démagogie triomphante accomplit son oeuvre sacrilége. En 93 la chapelle fut pillée et transformée en taverne, l’antique statue fut anéantie « Et ceux qui venaient naguères y prier et demander des grâces, s’oublièrent jusqu’à commettre des orgies dans un lieu où tout, jusqu’aux murailles, leur reprochait leur apostasie. (4) »
A l’époque du concordat, la chapelle fut enfin rendue au culte. Hors un seul autel, oublié dans un coin obscur, rien ne restait dans son enceinte souillée. Elle fut réconciliée, garnie peu à peu des objets indispensables, et quelques prêtres y vinrent de temps à autre célébrer les saints mystères. En 1805, le Conseil municipal de Honfleur présenta M. l’abbé Berthelot à la nomination de Mgr. l’évêque de Bayeux. Le nouveau chapelain s’occupa activement de recomposer le mobilier de la chapelle, mais tout était à faire, les dons étaient rares et M. Berthelot entraîné par son zèle, contracta des dettes qu’il ne put payer. Il en fit l’aveu dans une lettre touchante qu’il adressa au Conseil municipal de Honfleur et qui fut comme le testament de ce bon prêtre. Il mourut deux mois après l’avoir écrite, et les Honfleurais tinrent à honneur d’acquitter toutes ses dettes, se montant à la somme de 16,214 fr.
M. l’abbé Fossé, vicaire de Sainte-Catherine, succéda à M. Berthelot et desservit la chapelle de 1818 à 1822. Cette année-là, Mgr. de Bayeux nomma chapelain M. l’abbé Vastel, homme instruit et prédicateur distingué. Vicaire à Barneville avant la révolution, il avait émigré en Pologne, et revenu après dix ans d’exil, il dirigeait à Honfleur une école secondaire, et avait publié un essai historique sur cette ville. Il desservit la chapelle de Notre-Dame-de-Grâce jusqu’à sa mort, arrivée en 1839, et n’épargna rien pour rendre au pèlerinage son ancienne popularité. Mais les temps étaient difficiles et plusieurs passages de la notice qu’il publia sur la chapelle de Notre-Dame-de-Grâce témoignent de la profonde tristesse qui remplissait son coeur sacerdotal : « Toutes les indulgences obtenues pour ceux qui visitaient la chapelle, dit-il, sont éteintes, et n’ont plus de valeur, tout ayant été changé à la révolution, chapelains, autels, office même, religion, piété et ferveur……. sous prétexte de remédier à un mal apparent, on en a commis un réel, la liberté est une idole que chacun taille à sa fantaisie. Les uns l’enchaînent, les autres la déchaînent, et personne ne lui donne une forme humaine……. Dieu est presque méconnu, la piété n’est plus d’usage et les temples sont à peu près abandonnés. »
M. Vastel mourut en 1839, et après quelques débats occasionnés par le droit que prétendait avoir le Conseil municipal de Honfleur de désigner au choix de l’Évêque le nouveau Chapelain, Mgr l’évêque de Bayeux, nomma de motu proprio, M. l’abbé Aubert qui dessert actuellement la chapelle.
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Dans une froide matinée de février 1848, alors que les vents d’hiver ébranlaient les arbres et gémissaient autour de la petite chapelle, une femme pauvrement vêtue, belle encore, quoique au déclin de l’âge, vint s’agenouiller aux pieds de Notre-Dame-de-Grâce. Elle entendit la messe, communia, et quitta l’église après une longue prière. Personne ne l’avait remarquée à cette heure matinale et l’eut-on fait, qui se serait étonné de voir à la chapelle, les yeux fatigués de larmes, une femme, une mère aux cheveux blancs ? Jamais cependant pareilles douleurs n’étaient venues là chercher refuge et consolation. De ce front qui s’inclinait venait de tomber une couronne. Marie-Amélie fugitive ignorait le sort de ses enfants, abandonnait des tombes chéries et prête à s’éloigner à jamais de ce beau royaume où elle avait semé tant de bienfaits et répandu tant de pleurs, elle était venue confier à la Mère de douleurs, ses dernières espérances. Celui qui, la veille encore, était Roi, l’attendait près de là, caché dans la maison d’un ami. S’il fut venu, instruit par l’adversité, s’agenouiller auprès de la Reine, s’il eut prié comme elle, l’âme toute chrétienne de Marie-Amélie eut tressailli de joie, et le Te Deum eut jailli de son coeur à demi brisé. Mais il ne vint pas à la chapelle, et le soir même, les deux époux prirent ensemble la route de l’exil, lui, courbant la tête et subissant la peine du talion, elle, partageant l’expiation, abreuvée de douleur, mais les yeux fixés vers l’éternelle patrie.
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Tandis que le flot de la prospérité commerciale caresse et favorise le développement de la ville et du port du Havre, Honfleur reste stationnaire et semble même s’amoindrir, si l’on ne veut reconnaître le signe de la prospérité d’une ville que dans l’accroissement de ses richesses et de sa population, sans tenir compte de la démoralisation et des misères de toute espèce qui en sont le complément ordinaire. Le Havre, c’est le siège des armateurs et des spéculateurs cosmopolites qui luttent dans la sphère commerciale d’où sort la fortune ou la ruine des uns et des autres. C’est là que règnent l’activité dévorante de l’agiotage, la soif insatiable des richesses, l’avidité sans frein et le travail sans trève.
A la même distance de Honfleur, mais sur la même côte, le nom obscur de Trouville a conquis tout à coup une étonnante célébrité. Sa plage unie et sablonneuse est devenue le rendez-vous annuel de la fashion parisienne. Dès que les salons et les foyers des théâtres sont fermés, les quadrilles brillants prennent leur course vers ce point, et la plage déserte se couvre de laquais vêtus en grands seigneurs, de beaux messieurs habillés en palfreniers, mais portant des voiles verts pour tempérer les ardeurs du soleil et conserver leur teint. Les femmes, au contraire, bottées et coiffées comme des pages ou des mousquetaires, se promènent la canne à la main, parlant haut en public et fumant aux fenêtres. Puis, à l’heure voulue, cette population extravagante de comtes, de marquis, d’acteurs, de danseuses, de banquiers et de princesses, se baigne et tritonne pêle-mêle, sous les yeux des enfants et des valets.
Entre ces deux Babylone, celle où retentissent nuit et jour les clameurs du travail et les mugissements du veau d’or, et celle où l’opulente oisiveté étale au grand soleil son impudence et sa dégradation, l’aimable et antique cité de Honfleur, abritée par le sanctuaire de Notre-Dame-de-Grâce, conserve intacts son caractère patriarcal et sa paisible activité. Elle voit sans regret la vase qui retrécit son port, et les galets amoncelés sur ses rivages, puisqu’ils la préservent des périls de la cupidité et des corruptions de l’oisiveté en vacance. - L’étranger peut parcourir à toute heure ses rues tranquilles, jamais il n’y rencontre un visage effronté, jamais une voix insolente n’offense ses oreilles. - Les hommes travaillent, construisent des navires, réparent la barque et les filets, ou se reposent en attendant la marée montante. Modestes et laborieuses, les jeunes filles cousent, assises aux fenêtres, ou sur le seuil des maisons, près de leurs mères, et des enfants, tout occupés à faire flotter de petits bateaux sur les eaux limpides qui descendent du côteau. - C’est du côteau aussi que viennent ces traditions d’honneur et de chasteté. A Honfleur comme à Chartres, on est dans le domaine de Marie, et l’éclat de sa couronne semble se refléter sur le front candide des jeunes filles, sur les traits hâlés, intelligents et nobles de leurs parents.
Faut-il donc après cela tant vanter le fracas des villes opulentes, et dédaigner celles qui vivent dans un ordre régulier de travail et de paix ? Pour nous le choix n’est pas douteux, et les familles que la divine Providence a placées dans un centre moins agité ne doivent pas envier le sort de celles qui se forment et se dispersent dans les campements incertains et sur les pentes volcanisées des villes naissantes. - Les enfants grandissent mieux là où s’épanouissent les fleurs et où chantent les oiseaux du ciel. La maison rebâtie sur de vieilles murailles est plus solide et plus saine que celle qui s’élève sur des marais desséchés. Les boulevards improvisés, les hauts fourneaux et les forteresses de l’industrie exhalent des émanations malsaines qu’il faut parfois subir, mais non point rechercher. D’ailleurs la fortune des grandes villes n’est pas mieux assurée que celle des grands empires si elle n’a pour fondement la crainte du Seigneur et la soumission aux lois divines. - Nisi Dominus oedificaverit domum, in vanum laboraverunt qui oedificant eam.
Seul, le trône de Marie Immaculée résiste aux orages. Chaque siècle en s’écoulant forme une assise nouvelle, marquée du triple sceau de l’art, de la science et de la foi, et lorsque des mains impies prétendent la briser, leur oeuvre sacrilége se tourne contre elles-mêmes. Bientôt les débris enfouis ou dispersés sortent de terre comme les graines semées par le vent du ciel et qui vont porter au loin le merveilleux secret de leur germination. - Selon de pieux desseins, l’humble chapelle de Notre-Dame-de-Grâce doit bientôt se transformer en un sanctuaire plus vaste et plus beau. Comment cela se fera-t-il ? Dieu le sait, et nous n’avons pas à nous mettre en peine des moyens qu’il emploiera pour réaliser ce voeu, si tant est qu’il l’agrée. - Le sou du pauvre, le bracelet de la grande dame, l’or de l’inconnu tomberont dans la bourse de quelque quêteur, bien simple, bien ignorant des habiletés mondaines, mais confiant et actif. Il fera venir des ouvriers, on creusera le sol, et de cette terre dès longtemps fécondée par les faveurs du ciel et la prière des humbles, la nouvelle église germera et s’élèvera comme un lys dans la vallée d’Hébron. Et de même qu’à Boulogne, à Marseille, à Alger, la lampe du sanctuaire de Notre-Dame-de-Grâce dominera les phares, projettera sa douce lumière sur le rivage, et attirera vers elle les navigateurs et les pélerins qui fuient les mêmes tempêtes et cherchent le même port.
Déchet- Serviteur
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Date d'inscription : 05/03/2008
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Re: Notice historique sur la chapelle de Notre-Dame-de-Grâce de Honfleur
oh merci
mais il fait tot je lirai quant je serrais plus réveille lol
mais merci
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mais merci
avec-amour-et-paix- Journalistes
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Humeur : belle
tendances politiques : anarchiste
Date d'inscription : 18/02/2008
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Re: Notice historique sur la chapelle de Notre-Dame-de-Grâce de Honfleur
ca doit etre complet,
j en ai lu un peu,c'est interessant ,merci
j en ai lu un peu,c'est interessant ,merci
valou- Ecologistes
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Age : 56
Localisation : beziers
Date d'inscription : 28/02/2008
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Re: Notice historique sur la chapelle de Notre-Dame-de-Grâce de Honfleur
merci déchet :D
je vais me cultiver un peu, il serait temps la france est mon pays quand même
Mais jai vu la chapelle en vrai , magnifique ...
je vais me cultiver un peu, il serait temps la france est mon pays quand même
Mais jai vu la chapelle en vrai , magnifique ...
natlareveuse- Chef de groupe - Juge
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