Chom Chao:Cité-dortoir des exilées de la confection au Cambodge
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Chom Chao:Cité-dortoir des exilées de la confection au Cambodge
Chom Chao:Cité-dortoir des exilées de la confection au Cambodge
L'industrie de la confection textile représente 80% des exportations totales du Cambodge. Sur les 300 000 personnes employées, plus de 90% sont des femmes, jeunes et le plus souvent originaires de province. Sous-payées, forcées à travailler toujours plus et traquées lorsqu'elles sont syndicalistes, les ouvrières survivent dans des conditions très difficiles dans les quartiers périphériques de Phnom Penh. Reportage dans la plus importante banlieue ouvrière, Chom Chao, au sud de la capitale.
La sortie d'usine
Ce fut soudain. L'épais nuage de poussière qui se soulève, les camions qui surgissent sur la petite route, les motodops qui klaxonnent vigoureusement. Et ces centaines de filles. Chargées debout dans les remorques. Il est 17 heures dans les rues de Chom Chao. Les ouvrières de la confection textile ont terminé leur journée. Sur leurs têtes, des fichus multicolores, autour du cou, un badge en carton. Certaines portent un masque sur le visage. L'air, ici, est extraordinairement sableux.
Les chauffeurs, payés 10 dollars par mois et par fille pour faire l'aller-retour tous les jours entre l'usine et leurs domiciles, roulent à vive allure. Au bout d'une dizaine de minutes, le vacarme retombe. Les piétonnes, déferlante éclair dans la rue, ont disparu. Des milliers de jeunes filles sortant des usines n'ont que quelques pas à faire pour rejoindre leurs dortoirs.
Quelque 30 000 personnes vivent dans cette banlieue de Phnom Penh, créée il y a trois ans. Ses rues comptent une multitude de petits commerces et de marchés massés autour des usines et des dortoirs.
Il faut traverser un étang d'ordures qu'on dirait fixé au sentier, pour atteindre l'un de ces logements. Là, deux bâtiments se font face, séparés par des herbes hautes, du linge qui sèche et un petit autel où finissent de se consumer une dizaine de bâtons d'encens. Il y a 47 chambres, d'environ 12 m2 chacune. Toutes conçues sur le même modèle. A l'extérieur, sont disposées de vastes jarres en terre cuite utilisées traditionnellement pour recueillir l'eau de pluie. Autour, des sachets individuels à shampoing tapissent le sol.
Un quotidien monotone
Nous sommes dans la chambre numéro 2. Les murs sont en béton, le toit de tôle soutenu par de frêles poutres en bois. La fenêtre ne laisse entrer qu'une faible lumière; la télé trône devant. Noeurn, 18 ans, est assise sur un coin du lit. Ses cheveux mouillés, ramenés sur son épaule gauche, accentuent davantage sa pose pelotonnée. Depuis un an, elle travaille et vit ici avec trois de ses sœurs, toutes ouvrières. Elles partagent le loyer mensuel de 25 dollars - eau et électricité comprises - avec une cinquième fille. Dans le minuscule coin cuisine, une bombonne de gaz, quelques ustensiles et des bougies. Les coupures de courant sont fréquentes.
Nous sommes à la veille de Phchum Ben, la fête des morts. Noeurn va rentrer à Kandal, la province dont elle est originaire. Tous les mois, elle envoie 30 dollars à sa famille restée là bas. De son quotidien, elle ne se plaint guère. Légèrement perplexe à l'idée que ça puisse captiver quelqu'un, elle consent à raconter son histoire : "Je travaille cinq jours par semaine de 6h30 à 17h30 dans une fabrique à quelques minutes de ma chambre. J'ai une pause déjeuner d'une heure. J'achète des fruits au marché et je mange le riz que je fais cuire la veille. Le samedi, je ne travaille que le matin. Le dimanche, je dors, je regarde la télé et je lave mon linge. Je gagne 50 dollars par mois. Je pourrais gagner 20 dollars de plus mais je suis trop fatiguée pour faire des heures supplémentaires. Quand j'ai payé mon loyer et envoyé de l'argent à ma famille, il me reste 15 dollars (soit un demi dollar par jour). Certains mois, j'emprunte de l'argent."
A l'évocation de son avenir, Noeurn s'amuse et hausse les épaules. Toutes ses amies d'enfance travaillent dans la confection textile, elle fait pareil, voilà tout. "Mais n'a-t-elle vraiment pas d'autre projet ?" La question est maladroite. Elle répond aussitôt que "non" puis baisse furtivement les yeux : "Je voulais être vendeuse au marché mais ça n'a pas été possible."
Une jeune femme se tient près de la porte, un enfant dans les bras. Elle a arrêté de travailler à la naissance de son fils : "Mon mari est chauffeur. Il conduit des camions de marchandises." Elle a eu plus de chance que les autres, celles qui confient leurs enfants à des proches restés en province parce qu'elles n'ont pas les moyens de les élever à Phnom Penh. Ou celles qui, célibataires, abandonnent leur enfant parce qu'elles ont honte.
Une vie dans la promiscuité
Plus loin, des adolescents jouent au volley. Les ouvrières ne sont pas seules ici. "Des familles occupent certaines chambres pour 20 dollars", explique le fils des propriétaires. Il assure que les prix n'ont pas augmenté depuis 2006.
A quelques encablures de là, Dei Pres Village, un autre ensemble de baraques en bois. Un muret en brique sépare les logements d'une imposante fabrique aux façades carrelées. "Ici, ça a doublé en un an. On paye 20 dollars et il faut ajouter 10 dollars pour l'eau et l'électricité. Je dois faire des heures supplémentaires pour pouvoir payer mon loyer", déplore Previ. Cette ouvrière de 22 ans vit dans cette minuscule chambre avec sa mère, son frère, sa sœur et son neveu. Dans sa cahute en bois, pas une fenêtre, pas un filet de lumière. L'unique ampoule est suspendue au-dessus de la porte colmatée avec du carton. On étouffe à l'intérieur.
Ici, la vie se passe dehors. Dans la cour inondée d'eau et d'ordures, les hommes jouent aux dames sous un porche. Une femme fait sa lessive. Une autre essaye de rattraper son fils. La tête couverte de shampoing, il se planque sous une carriole chargée de bananes. Poussé au maximum, un refrain craché par une radio concurrence le caquetage des poules.
Coincées dans un quotidien pendulaire, entre usine et dortoir, les ouvrières n'ont pour échappées que ces cours empuanties. Et les marchés, pris d'assaut vers 11 heures - il n'y a pas de cantines dans les usines.
Accepter les violations du Code du travail... ou se reconvertir
Contestant cette harassante monotonie, Womyn's Agenda for Change, une ONG de défense des droits de la femme, tente de sensibiliser les ouvrières. L'une de ses 7 antennes d'aide est installée au cœur de Chom Chao. Une permanence assurée par des ouvrières.
Impossible d'évaluer le nombre de filles au courant de l'existence de la WAC. Une poignée seulement, admet l'ONG. Ce lundi, Sony et Sokha, salariées de l'ONG, sont seules dans la pièce. En dehors des réunions d'informations sur les heures supplémentaires, les CDD etc., elles traitent les affaires au cas par cas : "Les ouvrières se plaignent surtout du non paiement de leurs salaires et des licenciements abusifs. Ils ne renouvellent pas les contrats des filles malades ni ceux des syndiquées."
Sony et Sokha racontent la dernière affaire suivie par l'ONG. Dans une grosse usine, la cadence imposée aux filles pouvait monter jusqu'à 48 heures de travail d'affilée. Virées, celles dont les paupières s'alourdissaient trop vite. Impuissante, la WAC n'est pas parvenue à convaincre celles qui ont frappé à sa porte de tenter de porter plainte. “C'est impossible. Elles ont trop peur des patrons” explique Sony. Sokha, elle, a quitté l'usine après un épisode similaire: “De toute façon, on ne sait pas comment faire pour porter plainte. Ni même que c'est possible de s'opposer à un patron. Mais on fait tout pour que ça change."
Pour les autres, les quelque 300 000 ouvrières de Phnom Penh, l'ordinaire ne s'améliore guère. Les prix flambent, les familles réclament et les salaires ne suivent pas. Alors, certaines quittent Chom Chao. Elles tentent autre chose. Les "Beer Garden", ces restaurants où les filles habillées aux couleurs d'une marque de bière poussent les clients à la consommation. Les bars-karaoké. Ou le retour aux champs.
Par Zineb Dryef avec Chan Soratha
Chom Chao, cité-dortoir des exilées de la confection textile au Cambodge
L'industrie de la confection textile représente 80% des exportations totales du Cambodge. Sur les 300 000 personnes employées, plus de 90% sont des femmes, jeunes et le plus souvent originaires de province. Sous-payées, forcées à travailler toujours plus et traquées lorsqu'elles sont syndicalistes, les ouvrières survivent dans des conditions très difficiles dans les quartiers périphériques de Phnom Penh. Reportage dans la plus importante banlieue ouvrière, Chom Chao, au sud de la capitale.
La sortie d'usine
Ce fut soudain. L'épais nuage de poussière qui se soulève, les camions qui surgissent sur la petite route, les motodops qui klaxonnent vigoureusement. Et ces centaines de filles. Chargées debout dans les remorques. Il est 17 heures dans les rues de Chom Chao. Les ouvrières de la confection textile ont terminé leur journée. Sur leurs têtes, des fichus multicolores, autour du cou, un badge en carton. Certaines portent un masque sur le visage. L'air, ici, est extraordinairement sableux.
Les chauffeurs, payés 10 dollars par mois et par fille pour faire l'aller-retour tous les jours entre l'usine et leurs domiciles, roulent à vive allure. Au bout d'une dizaine de minutes, le vacarme retombe. Les piétonnes, déferlante éclair dans la rue, ont disparu. Des milliers de jeunes filles sortant des usines n'ont que quelques pas à faire pour rejoindre leurs dortoirs.
Quelque 30 000 personnes vivent dans cette banlieue de Phnom Penh, créée il y a trois ans. Ses rues comptent une multitude de petits commerces et de marchés massés autour des usines et des dortoirs.
Il faut traverser un étang d'ordures qu'on dirait fixé au sentier, pour atteindre l'un de ces logements. Là, deux bâtiments se font face, séparés par des herbes hautes, du linge qui sèche et un petit autel où finissent de se consumer une dizaine de bâtons d'encens. Il y a 47 chambres, d'environ 12 m2 chacune. Toutes conçues sur le même modèle. A l'extérieur, sont disposées de vastes jarres en terre cuite utilisées traditionnellement pour recueillir l'eau de pluie. Autour, des sachets individuels à shampoing tapissent le sol.
Un quotidien monotone
Nous sommes dans la chambre numéro 2. Les murs sont en béton, le toit de tôle soutenu par de frêles poutres en bois. La fenêtre ne laisse entrer qu'une faible lumière; la télé trône devant. Noeurn, 18 ans, est assise sur un coin du lit. Ses cheveux mouillés, ramenés sur son épaule gauche, accentuent davantage sa pose pelotonnée. Depuis un an, elle travaille et vit ici avec trois de ses sœurs, toutes ouvrières. Elles partagent le loyer mensuel de 25 dollars - eau et électricité comprises - avec une cinquième fille. Dans le minuscule coin cuisine, une bombonne de gaz, quelques ustensiles et des bougies. Les coupures de courant sont fréquentes.
Nous sommes à la veille de Phchum Ben, la fête des morts. Noeurn va rentrer à Kandal, la province dont elle est originaire. Tous les mois, elle envoie 30 dollars à sa famille restée là bas. De son quotidien, elle ne se plaint guère. Légèrement perplexe à l'idée que ça puisse captiver quelqu'un, elle consent à raconter son histoire : "Je travaille cinq jours par semaine de 6h30 à 17h30 dans une fabrique à quelques minutes de ma chambre. J'ai une pause déjeuner d'une heure. J'achète des fruits au marché et je mange le riz que je fais cuire la veille. Le samedi, je ne travaille que le matin. Le dimanche, je dors, je regarde la télé et je lave mon linge. Je gagne 50 dollars par mois. Je pourrais gagner 20 dollars de plus mais je suis trop fatiguée pour faire des heures supplémentaires. Quand j'ai payé mon loyer et envoyé de l'argent à ma famille, il me reste 15 dollars (soit un demi dollar par jour). Certains mois, j'emprunte de l'argent."
A l'évocation de son avenir, Noeurn s'amuse et hausse les épaules. Toutes ses amies d'enfance travaillent dans la confection textile, elle fait pareil, voilà tout. "Mais n'a-t-elle vraiment pas d'autre projet ?" La question est maladroite. Elle répond aussitôt que "non" puis baisse furtivement les yeux : "Je voulais être vendeuse au marché mais ça n'a pas été possible."
Une jeune femme se tient près de la porte, un enfant dans les bras. Elle a arrêté de travailler à la naissance de son fils : "Mon mari est chauffeur. Il conduit des camions de marchandises." Elle a eu plus de chance que les autres, celles qui confient leurs enfants à des proches restés en province parce qu'elles n'ont pas les moyens de les élever à Phnom Penh. Ou celles qui, célibataires, abandonnent leur enfant parce qu'elles ont honte.
Une vie dans la promiscuité
Plus loin, des adolescents jouent au volley. Les ouvrières ne sont pas seules ici. "Des familles occupent certaines chambres pour 20 dollars", explique le fils des propriétaires. Il assure que les prix n'ont pas augmenté depuis 2006.
A quelques encablures de là, Dei Pres Village, un autre ensemble de baraques en bois. Un muret en brique sépare les logements d'une imposante fabrique aux façades carrelées. "Ici, ça a doublé en un an. On paye 20 dollars et il faut ajouter 10 dollars pour l'eau et l'électricité. Je dois faire des heures supplémentaires pour pouvoir payer mon loyer", déplore Previ. Cette ouvrière de 22 ans vit dans cette minuscule chambre avec sa mère, son frère, sa sœur et son neveu. Dans sa cahute en bois, pas une fenêtre, pas un filet de lumière. L'unique ampoule est suspendue au-dessus de la porte colmatée avec du carton. On étouffe à l'intérieur.
Ici, la vie se passe dehors. Dans la cour inondée d'eau et d'ordures, les hommes jouent aux dames sous un porche. Une femme fait sa lessive. Une autre essaye de rattraper son fils. La tête couverte de shampoing, il se planque sous une carriole chargée de bananes. Poussé au maximum, un refrain craché par une radio concurrence le caquetage des poules.
Coincées dans un quotidien pendulaire, entre usine et dortoir, les ouvrières n'ont pour échappées que ces cours empuanties. Et les marchés, pris d'assaut vers 11 heures - il n'y a pas de cantines dans les usines.
Accepter les violations du Code du travail... ou se reconvertir
Contestant cette harassante monotonie, Womyn's Agenda for Change, une ONG de défense des droits de la femme, tente de sensibiliser les ouvrières. L'une de ses 7 antennes d'aide est installée au cœur de Chom Chao. Une permanence assurée par des ouvrières.
Impossible d'évaluer le nombre de filles au courant de l'existence de la WAC. Une poignée seulement, admet l'ONG. Ce lundi, Sony et Sokha, salariées de l'ONG, sont seules dans la pièce. En dehors des réunions d'informations sur les heures supplémentaires, les CDD etc., elles traitent les affaires au cas par cas : "Les ouvrières se plaignent surtout du non paiement de leurs salaires et des licenciements abusifs. Ils ne renouvellent pas les contrats des filles malades ni ceux des syndiquées."
Sony et Sokha racontent la dernière affaire suivie par l'ONG. Dans une grosse usine, la cadence imposée aux filles pouvait monter jusqu'à 48 heures de travail d'affilée. Virées, celles dont les paupières s'alourdissaient trop vite. Impuissante, la WAC n'est pas parvenue à convaincre celles qui ont frappé à sa porte de tenter de porter plainte. “C'est impossible. Elles ont trop peur des patrons” explique Sony. Sokha, elle, a quitté l'usine après un épisode similaire: “De toute façon, on ne sait pas comment faire pour porter plainte. Ni même que c'est possible de s'opposer à un patron. Mais on fait tout pour que ça change."
Pour les autres, les quelque 300 000 ouvrières de Phnom Penh, l'ordinaire ne s'améliore guère. Les prix flambent, les familles réclament et les salaires ne suivent pas. Alors, certaines quittent Chom Chao. Elles tentent autre chose. Les "Beer Garden", ces restaurants où les filles habillées aux couleurs d'une marque de bière poussent les clients à la consommation. Les bars-karaoké. Ou le retour aux champs.
Par Zineb Dryef avec Chan Soratha
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Date d'inscription : 18/02/2008
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