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tout est précaire

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Message par avec-amour-et-paix Mer 7 Jan - 10:39

Tout est précaire (dixit Parisot)
Qu'est-ce que la précarité ?

Elle nous renvoie à cette époque du travailleur journalier attendant de
très longues heures pour décrocher une embauche auprès du contremaître. Il
n'est plus à douter que celle-ci est devenue le moteur de l'histoire du
capitalisme occidental. Il va sans dire que la précarité est un vecteur
normatif sur le plan de la socialisation de la force du travail.
L'intérimaire est une figure nomade qui va sans cesse d'une entreprise,
d'une unité de production à une autre (la flexibilité), voire d'un site à
un autre (l'externalisation).

Dans un premier temps, petit à petit, elle a réussi à s'imposer comme le
nec plus ultra de la gouvernance de l'appareil de production (le secteur
nucléaire a été le champ d'application expérimental) avant de conquérir
tous les plans de l'existence, que l'on peut traduire par le délitement du
lien social. Quelle plus parfaite illustration que cette maxime, "Tout est
précaire", de Laurence Parisot du MEDEF, teintée d'un cynisme hors pair,
notifiant le cri de victoire de la réaction.

Pour s'en convaincre, il suffit de prendre ces deux simples exemples très
évocateurs : la réception du SMS pour aller en mission et la recherche par
Internet pour décrocher un emploi. Bien sûr, il faut traverser au
préalable avec succès une présélection dictée par les DRH et les cadres
sondant l'employabilité de l'individu : être corvéable à merci suppose le
profil-type avec le sourire, c'est une règle d'or.

Ainsi, tous nos moindres faits et gestes se doivent au maximum d'être
calculés et anticipés, si l'on veut être reconduit dans ses contrats de
missions. Désormais, nous sommes à chaque instant des entrepreneurs et des
gestionnaires qui se doivent d'être rentables afin de répondre et de se
soumettre à la discipline de la trinité : productivité, profit et
croissance (au nom de la sainte guerre économique que livre le
capitalisme). Dans la grande distribution du bricolage, la moindre erreur
de jugement au cours d'un inventaire est sanctionnée d'un renvoi
sur-lechamp. D'un coup de crayon, la secrétaire zélée rayera votre numéro
(en l'occurrence T6) des effectifs de la journée. On fera comprendre à
l'intérimaire qu'il n'est pas dans son intérêt qu'un rapport remonte à
l'agence. Dans ce cas-là, il vaut mieux déchirer son contrat de mission en
douce. Ne parlons même pas du manque de sécurité dans certains cas précis
(absence de casque, par exemple).

Et, pire encore, la perception et la représentation du temps se trouvent
complètement métamorphosées, jusqu'à en perdre la maîtrise : mobile,
mobilisable et démobilisable du jour au lendemain, de la seconde à la
minute. Ce n'est plus un temps dicté par le rythme de la nature, ni par
les horloges apparues en nombre au XVIIIème siècle, mais bel et bien par
les besoins de la production marchande ("flux tendu", etc.). Si on tient
compte que l'Internet et le téléphone portable imposent et structurent un
rapport à l'immédiateté, interférant sur la capacité à se projeter dans le
futur, nous sommes dans un temps complètement fragmenté et paradoxal dans
lequel le court et le long terme sont indifférenciés. Sans y prendre
garde, ces prothèses communicationnelles concourent sournoisement à
l'instauration d'un contrôle social qui se généralise et se banalise :
connaître le lieu où l'on se trouve à tout instant. La précarité acte un
brouillage de la frontière entre la sphère privée et publique qui entérine
un état permanent d'attente, engendrant de la fatigue et du stress, quand
ce n'est pas simplement de la peur et de l'angoisse : vivre sous la menace
d'un blanc sur son C.V. et de la remarque qui en découlera lors de
l'entretien pour inhiber le candidat en le plaçant dans une position de
faiblesse (technique de recrutement).

Quelque part, le C.V. a remplacé le carnet de l'ouvrier. Celui-ci vaut des
stages ou des ateliers divers où l'occasion est donnée aux participants
(chômeurs et intérimaires) de confronter leur expérience (de la scolarité
à leur entrée et parcours sur le marché du travail) en s'annotant pour
qu'ils le remettent en bonne et due forme. Présenté des fois sous l'habit
du travailleur social, l'animateur (ou l'animatrice) – ayant fait ses
armes en tant que DRH - saura user sciemment, sauf à l'insu de son plein
gré, de la violence symbolique. Savoir se vendre, telle serait cette
"éthique" basée sur le recours au sentiment de pitié.

N'omettons pas que la précarité engendre quelque chose de tout aussi
préjudiciable comme la mise en concurrence brutale et directe de
l'intérimaire qui vend sa force de travail, même si l'intérimaire jaune
s'accommode parfaitement de cette situation ; tandis que les agences
d'intérim savent s'entendre pour appliquer une clause de non-concurrence
dans l'obtention des parts de marché : c'est-à-dire qu'un intérimaire ne
peut postuler pour un poste d'ouvrier spécialisé en passant par deux
agences d'intérim pour la même usine d'agroalimentaire par exemple. Elles
se partagent donc les secteurs de l'appareil de production par des
antennes (l'agroalimentaire, l'automobile, le bâtiment, le secrétariat,
etc.). Les agences d'intérim sont en vérité des annexes de réseaux ou de
groupes d'entreprises qui peuvent placer des fonds pour se servir
directement à volonté en main-d'oeuvre. Elles ne sont que l'extension du
conglomérat et de l'oligopole, d'où l'intérêt de connaître le montage
juridique et d'ouvrir les livrets de compte pour mettre fin à l'opacité.
En faisant déjà oeuvre d'officines de placement, elles concurrencent
l'ANPE et la poussent vers sa restructuration et son démantèlement. C'est
l'intérim nouvelle génération avec son marketing glamour !

Petite remarque : l'intérimaire n'est pas une figure unifiée ou un corps
social monolithique, le "précariat". Ce dernier ne s'est pas également
substitué par excellence au salariat de type ouvrier-masse des grandes
usines, en particulier de l'automobile des années 70, comme certains
aimeraient à le théoriser. La composition sociologique de l'intérimaire
est relativement complexe puisqu'elle comprend tous les secteurs en
incorporant l'intérimaire non-qualifié (l'ouvrier spécialisé, l'employé,
…) et l'intérimaire qualifié (l'ouvrier qualifié, le petit chef et même le
cadre). De plus, ces deux catégorisations se subdivisent en d'autres,
telles que l'intérimaire transitoire, occasionnel et régulier, selon
plusieurs critères : la fluidité de l'offre et de la demande qui pèse sur
le volant des commandes, l'annualisation du temps de travail, les
contraintes de la force de travail (l'arrêt maladie, l'usure…) ainsi que
sa valeur, qui reste encore trop élevée face à la concurrence des PECO
(Pays d'Europe Centrale et Orientale) et des NPI (Nouveaux pays
industrialisés).

Le mouvement de lutte contre le CPE/CNE de 2006 a sonné comme un coup de
semonce. Devant ce danger, l'ordre du discours de la classe dominante (les
bourgeois, les patrons, les parvenus, les politiques,…) s'est replongé
dans celui des moralistes-mercantilistes, des évangélistes et des
méthodistes : se lever tôt, trimer dur, ne pas rester à ne rien faire, le
temps est précieux, et c'est de l'argent… N'a-t-on pas entendu, de droite
et de gauche sur l'échiquier politique, qu'il fallait réhabiliter le
travail ? Ce n'est pas trop grave pour le syndicalisme réformiste, si cela
suppose la flexisécurité. Le contraire n'est pas étonnant quand on sait
que celui-ci a signé tous les accords de restructuration. Ce n'est que la
faillite du socialisme réformiste et de ses variantes, qui croient encore
inscrire le progrès dans l'évolution du capitalisme et son développement
incessant des forces productives, cet avatar historique d'un certain
matérialisme historique étroit. S'il ne veut pas rester en porte-àfaux,
l'anarchosyndicalisme se doit de continuer à s'armer théoriquement en
discernant tous les aspects de la précarité et du capitalisme. Cependant,
la rationalité et la pertinence de l'analyse politique ne suffisent pas à
être comme un poisson dans l'eau parmi la masse. Il s'agit bien de
susciter le désir de contestation de cet état de fait qu'est la précarité
et, au-delà, le salariat luimême avec tout ce qu'il véhicule et engendre :
abrutissement, épuisement, irritabilité, etc. Car l'anarchosyndicaliste
est un agitateur qui sait que le trouble social est une aubaine pour le
caractère spontané de la lutte : les récents débrayages nous en
fournissent la preuve éclatante, malgré l'aspect trade-unioniste de la
revendication immédiate. Ils ont au moins le mérite de briser la
résignation ambiante.

Voilà bien qui mérite de remettre à l'ordre du jour trois questions
essentielles : A quoi sert le travail en acte et puissance ? Quelle est
donc sa finalité (et, par-là même, la nôtre) ? Ne saurait-il se réduire
qu'au salariat ? Cela suppose de définir la richesse et la pauvreté…

Paul-Anton, CNT-AIT de Caen

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Paru dans Anarchosyndicalisme n°109

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